2 Automnes, 3 Hivers : entretien exclusif de Publik’Art avec Sébastien Betbeder, le réalisateur du film.

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 19 décembre 2013. Le rendez-vous est pris avec le réalisateur Sébastien Betbeder dans un bar du boulevard  Ménilmontant pour parler de son dernier film, 2 Automnes, 3 Hivers. L’endroit me parle, et je me rends compte que je retrace le parcours des personnages, leur quartier et leur bar favori, ceux du cinéaste aussi. L’harmonie s’installe, l’air est froid et doux, comme si l’atmosphère du film continuerait de me poursuivre dans la vie. A moins que ça ne soit le film qui est plein de ce Paris, au mois de décembre….

« 2 automnes, 3 hivers », ce sont des saisons froides dont vous avez très bien réussi à capter l’atmosphère particulière. Vous trouviez ce climat plus  »cinématographique », plus apte à transmettre certaines émotions?

Effectivement, j’avais cette impression que c’était beaucoup plus propice au regard sur soi, le dispositif premier du film étant ces monologues face caméra. Les saisons d’été sont dédiées à l’oubli de soi, à l’action. Par rapport au sujet du film, qui est de raconter trois ans dans la vie des personnages, il fallait ellipser des pans entiers de leur histoire, d’où ce choix de garder les saisons froides.

Il y a une écriture très particulière dans ce film, un rythme qui lui est propre. Est-ce que l’écriture est le processus qui a été le moteur du film?

Au départ, je me refuse de penser à « l’objet cinéma », même si je n’ai jamais voulu faire de « 2 Automnes, 3 Hivers » un roman. Je voulais trouver la forme la plus originale pour raconter ces choses en apparence simple que sont une histoire d’amour, une première rencontre, la décision de rester ensemble, l’amitié. Très vite est venue cette idée de monologue comme moyen pour construire des émotions.

Il y a ces petites choses qui font évènements, et ces petits évènements qui font histoire. C’est une idée qui vous parle, bien plus que les grandes fresques romanesques par exemple ?

Oui j’ai vraiment l’impression que « l’anecdotique » permet de dire des choses plus universelles. Une scène par exemple comme celle de « Koh Lanta » nous éclaire vraiment sur Arman. Comment il regarde cette émission nous éclaire sur sa façon dont il voit ses congénères, ça le fait se questionner sur l’individualisme de la société contemporaine. Les monologues permettaient de ne pas avoir d’échelle de valeur entre le grave et le léger. J’aurais détesté avoir une  »succession » de moments. Le film devait avoir une densité, celle-ci ne pouvait exister que s’il y avait de la place pour des moments plus signifiants que d’autres.

Oui il y a vraiment un mélange des genres qui participe à la dynamique du film. Une dimension « patchwork » sans être foutraque. Vous évitez la dimension « films à sketch » par ce fil conducteur qui est l’histoire d’amitié entre Arman et Benjamin, et l’histoire d’amour entre Arman et Amélie.

Je voulais traiter de cette force d’une relation amicale qui est née aux Beaux-Arts entre les personnages d’Arman et de Benjamin. On sait d’entrée dans cette relation qu’il y a quelque chose d’indestructible, là où la relation amoureuse est peut être plus ouverte aux intempéries. Pour Arman et Benjamin, c’est presque quelque chose de l’ordre du combat contre les aléas de la vie. Les accidents qu’ils subissent le long du film , ils vont passer dessus grâce à ce fondement très fort qui est leur amitié.

Vos personnages masculins et vous-même êtes des anciens étudiants des Beaux Arts, et il y a une certaine  »plasticité » dans votre film, un vrai travail formel. Cela vous a plu d’exploiter cet aspect dans un long métrage?

Le film exigeait en quelque sorte ce côté « patchwork » dont on parlait, on y trouve huit ou neuf supports d’images différents. La vraie question, à partir du moment où j’avais cette envie, c’était de savoir comment j’allais mettre en scène tout ça. Pour donner du rythme à cette histoire, il fallait un éclatement du récit et de la texture de l’image. D’ailleurs une des vidéos que j’avais réalisé pour les Beaux-Arts a été intégrée dans une scène du film. J’ai toujours eu une attention particulière aux arts plastiques, mais quand je suis rentré aux Beaux-Arts je savais déjà que je voulais faire du cinéma. Aussi j’ai été à l’école Le Fresnoy qui a toujours considéré le cinéma comme faisant partie des arts plastiques. Après il y avait ce surplus de la narration, qui m’intéresse évidemment. Et a priori il y a des restes de cette dimension  »expérimentale » dans « 2 Automnes 3 Hivers » propre aux études que j’ai pu faire.

Si on schématise ce mélange des genres dans votre film, on pourrait dire : d’un côté on trouve quelque chose qui tire vers la comédie américaine indépendante type  »500 Days of Summer », au burlesque même ; mais un sens d’observation et d’accompagnement des personnages très  »français » à la Rohmer. C’est un mélange voulu ?

Ça découle de mes propres goûts en fait. Je ne pense pas à des références quand j’écris. Ce film là c’est fait sur le désir de raconter des choses qui correspondent pour moi à vingt ans de ma vie. Je ne parle pas là d’une dimension autobiographique, mais plutôt de choses vues, observées chez les uns et les autres, des émotions…. En fait trouver une forme qui pouvait laisser place au portrait, à l’anecdotique puis à des choses plus sérieuses. Sans être attaché à la référence, j’ai absolument conscience qu’il y a des échos qui se font avec la Nouvelle Vague pour le côté très littéraire du film. Moi ce qui m’intéresse le plus ces dix dernières années dans le cinéma et la littérature c’est ce mélange des genres entre la comédie et le drame, décider qu’un film pouvait être hybride. En ça j’ai pensé à des choses beaucoup plus contemporaines, de la comédie indépendante américaine effectivement, plus précisément la « dramédie » comme ce que font les frères Duplass. C’est quelque chose qui me fascine, et permet un champ des possibles narratif immense.

2 Automnes 3 Hivers dépeint une jeunesse trentenaire, parisienne, des gens qui ont des idéaux mais qui restent un peu perdus et qui prennent une certaine distance avec les évènements qui leur arrivent. Le personnage d’Arman par exemple se dit « dans une grosse période de démission ». Cette question de génération et d’ancrage social est visible sans être accentuée, pourquoi ?

C’était important pour moi de ne pas évacuer cette question tout en ne restant pas figer dessus. Je la mets de côté dès le début du film. On définit tout le temps la vie des gens par leurs activités professionnelles, et là finalement pendant 1 heure 30 on va suivre des personnages qui refusent ce constat-là. C’est un choix politique, courageux même j’ose de dire de la part de mes personnages. Montrer d’emblée cela, c’est comme dire au spectateur « voilà maintenant on va partir dans un film où les questions essentielles seront posées, celles qui ont attrait à l’amour, l’amitié, la mort, la place de la culture dans nos vie etc ». De ma part, on peut dire que c’est une sorte de rébellion face à un certain cinéma à veine naturaliste

Il y a beaucoup de références, de  »name-dropping » …

Dans un film comme celui-ci, beaucoup porté sur la parole, il ne faut pas craindre de nommer les choses. J’ai l’impression que c’est quelque chose que le cinéma a beaucoup de mal à faire. Encore une fois, je crois beaucoup au détail, à l’anecdotique pour raconter l’universel.

Finalement ce sont plus les répercussions qu’ont ces références sur les personnages qui importent, bien plus que les références en-elle même ?

Exactement, c’est complètement lié à la narration. Ces noms sont venus en cours d’écriture, il ont trouvé leur place. C’était vraiment pour donner matière à des personnages qui seraient comme autonomes, qui auraient leur propre vie avec leurs propres références. Après il y a évidemment quelque chose de ludique pour moi de faire parler d’Alain Tanner ou de l’exposition Munch de Beaubourg, parce que ce sont mes propres goûts. Ces dix dernières années, ces moments là, ces rencontres avec ces œuvres d’art ont été importants pour moi.

Paris est un personnage à part entière dans votre film , on y nomme ses lieux même les plus insignifiants comme le  »Simply Market » en bas de chez Arman ce qui donne lieu à une scène très drôle. Cette détermination à cartographier la ville, c’est un moyen de vous l’approprier parce que vous n’y êtes pas né?

C’est tout à fait ça. Je suis effectivement né dans les Pyrénées, je suis monté à la capitale et pendant très longtemps j’ai eu une appréhension à filmer cette immensité. Ma solution a donc été de créer des territoires, dans « 2 Automnes 3 Hivers » celui de mes personnages c’est le 20e arrondissement. C’est une manière de se rassurer et d’appréhender une grande ville, je peux moi-même rester « casanier » dans un même quartier. C’est quelque chose que j’avais envie de transmettre dans ce film, même si mes personnages bougent aussi beaucoup.

C’est un film qui m’a laissé une sensation de tristesse, de mélancolie diffuse. La musique y est vraiment pour quelque chose. Parlez-moi de ce travail sur la bande-son et de votre compositeur, Bertrand Betsch.

Pour mes autres réalisations j’avais fait appel à Sylvain Chauveau qui composait des morceaux qui se mêlaient vraiment à la texture de l’image, la matière sonore de la ville, des Buttes Chaumont notamment pour Les Nuits avec Théodore . Là, j’avais envie d’un travail vraiment différent, je désirais une interprétation mélodique de mon histoire. J’ai donc fait appel à un musicien, Bertrand Betsch, que j’ai découvert par un de ses disques, « La Soupe à la grimace » qui est mon album de chevet. C’est un musicien qui a commencé dans le même label que Dominique A, Diabolo Gum etc …. Soit tout un pan de la pop française qui a joué un rôle essentiel dans ma culture musicale. Il n’avait jamais fait de musique de film, et pour moi il a écrit très vite sur le texte. Des thèmes sont ressortis qui ont énormément servis au montage du film. Il y a aussi des musiques additionnelles, de Michel Delpech aux Fleet Foxes ce qui évoque encore une fois cet éclectisme propre à « 2 Automnes 3 Hivers ». Les comédiens chantent eux-mêmes pendant une séquence. Je crois beaucoup à l’émotion de la musique dans un film. Je pense souvent mes images par rapport à une musique.

Prochainement sort  »Tonnerre », le film de Guillaume Brac qui met aussi en scène Vincent Macaigne. On l’a beaucoup vu ces derniers temps ( »La Bataille de Solférino »,  »La Fille du Quatorze Juillet » …). Guillaume Brac utilise magnifiquement le côté  »borderline » de cet acteur. Dans votre film cette fragilité est aussi visible, mais sous une autre dimension, plus douce et mélancolique. C’est quelque chose que vous avez eu envie d’exploiter avec cet acteur ?

Quand j’écris un scénario, j’essaye de ne jamais penser au comédien qui va interpréter le rôle, ce serait trop réducteur. Pour Arman, j’ai fait appel au premier comédien avec lequel j’avais envie de travailler. Le talent de Vincent par rapport à notre collaboration a été de comprendre le personnage. Le film est très écrit, je récuse l’improvisation. Ce qui transparait d’un comédien, ce qui peut découler sur son travail c’est sa capacité à trouver en lui des émotions pour servir le personnage. Vincent a effectivement une forte personnalité qu’il distille le long des films qu’il joue, il impose un jeu comme Depardieu l’a fait à une époque en allant de Blier à Duras. Vincent a réussi à le faire ici pour servir parfaitement le personnage d’Arman.

La plupart de vos interprètes (Vincent Macaigne, Maud Wyler, Bastien Bouillon, Thomas Blanchard …) viennent du théâtre, et adhèrent parfaitement à l’hyper-construction du film, à son écriture en monologues etc.

Bizarrement, je me suis rendu compte plus tard que mes acteurs venaient pour la plupart du Conservatoire. Mais finalement, ce n’est pas pour rien que j’ai tourné mon choix envers eux pour tourner ce genre de choses, ces longs monologues qui peuvent rentrer en écho avec un travail d’atelier sur une scène. Je n’ai pas répété avec eux avant, je crois vraiment à l’instant, au rituel de la caméra et de l’équipe sur le tournage. C’est là que tout se passe pour moi.

Vous dépeignez une génération de personnages, et par conséquent vous filmez une génération d’acteurs. Ce sont des visages que l’on a vu apparaître dans le cinéma français ces derniers temps, dans des beaux films qui saisissaient de manière très singulière l’ère du temps. Cette nouvelle  »constellation d’acteurs », qui empreinte quelque chose d’une tradition française type Nouvelle Vague tout en alliant à une grande modernité, c’est quelque chose dont vous aviez conscience et qui vous a intéressé en tant que metteur en scène ?

Sans penser de cette façon là, je suis vraiment attentif aux nouveaux visages qui apparaissent de film en film. Le travail de spectateur fait partie intégrante de mon travail de metteur en scène. Ce sont chacun des acteurs que j’avais repérés, c’était un choix crucial. Je me sentais fort pendant ce tournage car c’était des comédiens que j’avais voulus pour ce projet. Je n’ai pas pensé quand j’écrivais à des références, mais en même temps je regardais beaucoup de films pendant cette période. Je me suis par exemple rappelé de Maud dans Louise Wimmer. C’était important de partir dans cette aventure avec cette certitude que c’étaient les meilleurs à cet endroit là.

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