Entretien exclusif avec Anna Mouglalis et Samuel Benchetrit pour le film Un voyage

 Un voyage c’est l’histoire d’un couple, Mona et Daniel, qui part le temps d’un week-end pour s’offrir des derniers élans d’amour avant la fin. C’est la troisième collaboration entre Anna Mouglalis et Samuel Benchetrit après J’ai toujours rêvé d’être un gangster et Chez Gino. Nous retrouvons le réalisateur et son actrice à l’Hôtel Amour. Il y a des coïncidences qui ne trompent pas …

 

 

Anna Mouglalis et Samuel Benchetrit, (c) Mégane Mahieu pour Publik'Art
Anna Mouglalis et Samuel Benchetrit, (c) Mégane Mahieu pour Publik’Art

L’amour à mort.

Publik’Art : Quelle a été la motivation première de ce film, « Un voyage » ?

Samuel Benchetrit : C’était simplement la volonté de faire une histoire d’amour avec une fin définitive, et en soi il n’y a pas plus définitif que la mort.

Publik’Art : L’euthanasie est donc une des problématiques du film, mais cela va au-delà. Pour une idée poétique du film, on pourrait percevoir cet acte comme l’apothéose d’un amour si fort entre Daniel et Mona que rien n’est possible après…

Samuel Benchetrit : Je n’avais pas tellement cette idée « romantique » en tête, mais effectivement c’est un amour inconditionnel entre les deux personnages.

Anna Mouglalis : Il y a beaucoup d’histoire comme ça d’amants qui se suicident ensemble. Mais dans Un voyage il y a au centre un petit garçon.

S.B: Rien n’est plus cruel que la mort. Et la mort c’est une des possibilités de rupture amoureuses, la plus courante. Une histoire d’amour c’est une histoire de vie. Quand on rencontre quelqu’un c’est une naissance, une renaissance je dirai même. Et dans ce chemin « d’être ensemble » il y a l’amour, il peut y avoir comme c’est le cas dans mon film la maladie, des moments de bonheur incroyables ou de désespoir.

[pull_quote_left] Quand on rencontre quelqu’un c’est une renaissance. Et dans ce chemin « d’être ensemble » il y a l’amour, il peut y avoir comme c’est le cas dans mon film la maladie, des moments de bonheur incroyables ou de désespoir.[/pull_quote_left]

Publik’Art : Le propos du film est grave, mais certaines scènes allègent ponctuellement le propos. Un voyage est constamment sur le fil du rasoir, certaines scènes d’abord burlesques virent à une grande tristesse, par exemple cette scène où Daniel et Mona imitent des singes…

S.B : C’est l’étonnement de certaines scènes qui, à la rigueur, peut provoquer le rire. Mais, par exemple la scène où Daniel et Mona commencent à imiter des singes et font l’amour de manière primaire c’est absolument dramatique. Ce côté primaire c’est la seule solution qu’à trouver Daniel pour retrouver le corps de sa femme. C’est d’une grande tristesse cette régression des deux personnages. Mona et Daniel sont un peu comme des enfants, des adolescents.

Etre une femme.

Publik’Art : Il y a ce paradoxe dans « Un voyage », à la fois vous ne faites pas de cadeau au personnage de Mona, mais vous la filmer avec tant de tendresse, par une caméra amoureuse on pourrait dire, que jamais elle ne devient une victime de cette situation si singulière. Est-ce inhérent au fait d’avoir choisi Anna Mouglalis ?

S.B: Je ne me suis jamais posé la question de choisir quelqu’un d’autre. Si je ne la filme pas avec amour, j’essaye au moins de la filmer avec dignité et pudeur. C’est ce que m’inspire Anna et son personnage dans le film. La situation étant assez dramatique, je ne pouvais absolument pas faire quelque chose de « dégueulasse » avec elle, avec son image.

  

Publik’Art : Une phrase aurait pu inspiré le personnage de Mona : « ce n’est pas une femme, c’est une apparition. » (ndlr : François Truffaut, Baisers volés) L’image ajoute à la dimension fantomatique du personnage…

A.M: Mona est plus proche de la disparition, tout brûle pour elle. Ce personnage se propose une liberté parce que c’est bientôt fini, le film montre ses derniers élans d’amour.

[pull_quote_right] Mona est plus proche de la disparition, tout brûle pour elle. Ce personnage se propose une liberté parce que c’est bientôt fini, le film montre ses derniers élans d’amour. [/pull_quote_right]

Publik’Art : Après « La Jalousie », Anna Mouglalis, c’est encore un rôle d’une femme forte de convictions, prête à tout par amour. Philippe Garrel comme Samuel Benchetrit travaillent beaucoup le regard de l’homme sur la femme, de la photogénie de votre visage souvent pris en gros plans …

A.M : Il y a effectivement cette question du regard, mais tout deux l’abordent de manière très différente. J’ai tourné Un voyage avant La jalousie. Alors quand Phillippe Garrel m’a demandé si j’étais d’accord pour rendre quelque chose de très naturel dans son film, sans maquillage ni coiffure, je trouvais ça normal. Le film de Garrel est héritier en quelque sorte d’Un voyage.

J’étais très heureuse à la lecture du scénario du film de Samuel, Mona est un personnage fort et je savais que je pourrais explorer beaucoup de choses grâce à elle. Garrel comme Samuel m’ont permis de me « libérer », de passer au-delà de la pudeur, que ce soit celle liée au sentiment amoureux ou à la souffrance. Ils m’ont fait du bien.

[pull_quote_left] Travailler avec Philippe Garrel et Samuel Benchetrit m’a permis de me  »libérer », de passer au-delà de la pudeur.[/pull_quote_left]

Publik’Art : Mona et Daniel forment un couple romanesque, Daniel est d’ailleurs écrivain, c’est le contre-pied de l’autre couple qu’ils rencontrent au cours du film Claire et Pierre. Claire (Céline Salette) porte la vie en elle, mais son couple semble mort. Etait-ce pour mettre en évidence la force, l’atypisme du couple de protagonistes que vous l’avait fait se confronter à un autre ?

S.B : Claire et Pierre sont un couple comme il y en a beaucoup je pense, de ceux qui vivent ensemble égoïstement. Je me rappelle, nous étions dans le Sud à la plage avec Anna, et à côté de nous il y avait ce couple arrivé en même temps que nous et qui ne s’adressait absolument pas la parole. On s’est rendu compte avec Anna que c’était un couple qui, en fait, ne se connaissait pas. Ils avaient du se marier parce que c’est ce que tous le monde fait, c’était quelque chose de formel.

A.M : Ils devaient passer 24h/24 ensemble, d’ailleurs bien souvent c’est ce genre de couple qui vole en éclat.

Publik’Art : Comme ces couples au restaurant qui ne se parlent pas

S.B : C’est d’une grande tristesse. D’ailleurs quand Mona débarque à la table de Claire et Pierre au restaurant, les deux ne se parlait pas du tout. C’est un événement pour eux, pour Claire surtout. D’ailleur l’apparition de ce couple fait suite à un fondu au noir, juste après que l’on ait compris que Daniel ait écrit un livre autobiographique dont le dernier chapitre n’est pas bon. Mona en se levant lui offre ce dernier chapitre, une dernière aventure.

Publik’Art : Une étrange alchimie se produit d’ailleurs entre Mona et Claire, quelque chose de triste et de sensuel … Pourquoi avoir choisi Céline Sallette ?

S.B : Ces deux femmes, Mona et Claire, pourraient être un couple. Je trouvais Céline très bonne actrice. Avec Anna, le courant était bien passé et je voulais quelqu’un de bien pour elle. Elles se ressemblent un peu, elles ont quelque chose de mystérieux, comme une blessure secrète. Je voulais qu’il y ait ce rapport non pas tellement trouble entre Claire et Anna, puisque les femmes partagent toute quelque chose, une souffrance, une complicité. D’ailleurs j’ai lu qu’une femme sur dix en Occident allait forcément à un moment donné avoir à faire à une affaire d’harcèlement ou de viol. Anna et moi avons une petite fille, cela m’a frappé.

Le personnage de Claire est violenté, cet enfant qu’elle porte elle ne voulait pas vraiment. Elle raconte à Mona que son mari s’est jeté sur elle un soir, ce rapport non consenti, même entre mari et femme, c’est du viol.

Il y a une complicité entre hommes, mais elle n’est pas du même ordre. Moi j’ai une complicité avec les hommes artistes par exemple.

Publik’Art : Parce que vous partagez une sensibilité avec eux, les artistes n’ont pas peur d’explorer leur part féminine, et vice et versa. ?

S.B : Oui c’est ça. Nous partageons les mêmes errances, les mêmes aspirations, les mêmes passages à vide. Ceux qui refusent d’explorer cette part de l’autre sexe en eux ne progressent pas, c’est évident. Il y a énormément d’auteurs, d’acteurs hommes qui vont vers une grande féminité. Nicholas Ray, Samuel Beckett, Jean-Louis Trintignant … en vieillissant ressemblent de plus en plus à des femmes.

 

Des mots et des actes.

 

Publik’Art : Les dialogues du film sont beaux, littéraires proches du théâtral même. On peut penser à Jacques Doillon avec qui vous avez tourné Samuel (ndlr : dans « Un enfant de toi » en 2012). Ce cinéaste a aussi une manière particulière d’écrire ses personnages, ce sont des formes de dialogues qui vous ont inspirés ?

S.B : Non, pas pour l’écriture des dialogues. Doillon peut plus m’inspirer sur la direction des acteurs. Mais nous n’avons pas du tout le même style, chez lui c’est plus proche du marivaudage. Ces personnages ont du vocabulaire c’est certain. Les personnages d’Un voyage ont aussi cette élégance des mots mais n’ont pas cette pure théâtralisation. Quand on écrit des dialogues, on les « écoute », je voulais que mes personnages aient un langage, le leur. Geste, langage, écoute … ce sont les choses que chaque couple se fabrique.

[pull_quote_right] J’attache de l’importance aux dialogues dans mes films. Dans « Un voyage », c’est le langage propre à ce couple que j’ai voulu mettre en avant.[/pull_quote_right]

Publik’Art : En parlant d’écriture, Samuel Benchetrit, vous écrivez aussi des romans. Abordez-vous l’écriture d’un film de la même manière que celle d’un livre ? Est-ce quelque chose d’absolument distinct ou l’un nourrit l’autre ?

S.B : Ce sont des choses différentes mais qui se nourrissent oui. D’abord, c’est la même pensée. Mais ce n’est pas la même énergie, la même intimité. L’écriture d’un livre nécessite une certaine solitude. Pour un film, on écrit pour les autres, il faut leur parler, partager ses idées.

Publik’Art : L’image au grain très prononcé du film est loin du noir et blanc très esthétisant de « J’ai toujours rêvé d’être un gangster». Ce choix du numérique était dû à des contraintes économique ou était-ce vraiment déterminé par le sujet du film, soit celui d’une évanescence programmée ?

S.B : Il y avait effectivement des contraintes budgétaires. C’est le premier film que je faisais en numérique, mes trois précédents étaient en pellicule. C’est une autre éducation du rapport à l’image.

A.M : Et puis c’est aussi une autre mise en scène. Samuel travaille normalement en ayant en tête le nombre exact de plans en tête. Le numérique, la caméra à l’épaule, induit une autre gestuelle. La caméra s’adapte aux acteurs plus que le contraire. Il y a un vrai travail d’accompagnement, « d’improvisation » de la caméra.

Publik’Art : Il y peut y avoir de prime abord une certaine perplexité vis à vis de Yann Goven, de ce choix d’acteur. Anna a un magnétisme, une animalité très frappante. Yann Goven est plus sec, d’une nervosité sous-jacente et ce n’est qu’au fur et à mesure qu’on saisit la force qu’il a aussi, et qu’il finit par s’accorder à Anna. Est-ce pour ça que vous l’avez choisi ?

S.B Au départ j’avais pensé à quelqu’un d’autre pour le rôle, Arthur H, qui n’était pas disponible. Yann je le voyais souvent, il a une carrure qui m’intéresse. Sa maigreur, presque maladive, traduit en fait une grande force, une solidité, une nervosité oui.

Il a commencé le film un peu hésitant, doucement il a pris de l’ampleur, au moment où il le fallait. Quand il doit porter Mona, il le fait, concrètement.

 

Bande annonce du film Un voyage

[youtube http://www.youtube.com/watch?v=lvJqK1bOtKI]

Un voyage sort en salle mercredi 24 avril. 

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