La Bonne Ame du Se-Tchouan, mise en scène de Jean Bellorini, à Saint-Denis

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Théâtre Gérard-Philippe du 8 au 18 janvier 2014
Salle Roger-Blin
93 Saint-Denis

Théâtre d’interrogations face à la violence du monde mais dont l’empreinte poétique et survoltée si propre à Brecht fait naître une puissance à la fois ravageuse et sensible si propre à Brecht fait naître une puissance à la fois ravageuse et sensible.

A l’abri d’un geste esthétique fort et d’un travail de troupe saisissant, Jean Bellorini (jeune metteur en scène de 32 ans qui signe aussi la traduction avec Camille de la Guillonnière, la scénographie, les lumières, les compositions) et ses dix -huit comédiens-chanteurs-musiciens font circuler et étinceler le verbe au plus près de l’expérience humaine et de ses antagonismes dont la résonance l’inscrive dans une contemporanéité frappante : un souffle enivrant.

On connaît l’argument sur laquelle repose cette bonne Ame, définie par le dramatruge comme une « parabole dramatique », et la tâche assignée à Shen Té, la prostituée de Se-Tchouan, par les dieux : être la bonté même, continuer à être bonne dans un monde où les dieux n’ont nulle part rencontré des « gens qui aient réussi à mener une existence digne de l’homme », prouver que l’altruisme y est possible. She té a eu beau protester, crier ses craintes : « Mais je ne suis pas sûre de moi, dieux illustres. Comment faire pour être bonne quand la vie est si chère ? » , les dieux n’entendent rien car ils se moquent des questions économiques.

 [pull_quote_right]A l’abri d’un geste esthétique fort et d’un travail de troupe saisissant, Jean Bellorini et ses dix -huit comédiens-chanteurs-musiciens font circuler et étinceler le verbe.[/pull_quote_right]

Une fois Shen Té installée dans le petit débit de tabac que les mille dollars laissés par les dieux lui ont permis d’acheter, sa mise à l’épreuve commence. Forte de cette nouvelle activité, elle constate que son commerce est aussitôt pris d’assaut par des pauvres plus avides que jamais tandis que les nantis tentent sous des prétextes fallacieux de l’escroquer.

Elle décide alors de s’inventer un double Sui Ta, un homme dur, calculateur, chargé de la défendre contre sa volonté de faire le bien et d’assurer ses arrières. Un être qui ne se soucie pas d’être bon, mais seulement un homme d’affaires pragmatique inspirant le respect aux riches et la crainte aux plus faibles affirmant sans complexe « Pour lui garder sa boutique, je suis prêt à aller jusqu’à l’extrême limite de ce qui est légalement permis ».

Entre temps, elle sera aussi tombée amoureuse d’un aviateur dont elle s’apprête à tout lui sacrifier alors que ce dernier est seulement prêt à profiter d’elle afin de réaliser son propre rêve en achetant un avion. Peut on faire le bien dans un monde de brutes ? Faut il sauver les hommes ou les confondre ?

Brecht questionne sans relâche l’exploitation de l’homme par l’homme ainsi que l’impuissance des dieux à changer le monde et nous met face à un modèle revendiquant de plus en plus sa part de duplicité et son égoïsme. Une fable sans morale mais dont le questionnement nous renvoie à une réalité très actuelle.

Dans un rapport frontal avec le public, les allées et venues des protagonistes s’organisent à partir d’une aire de jeu à deux niveau avec une échelle coté cour où dans un emportement festif et rythmique, le plateau s’apparente à un choeur qui cristallise le tumulte d’une humanité entre espoir et perdition, mise à mal et instinct de survie, l’intime et le collectif.

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En autant de fragments, de ruptures, de tonalités pop/piano, de trouvailles scénographiques inventives, la parole polyphonique s’incarne et se fédère dans une dimension chorale, musicale, originale et unitaire de l’œuvre portée par des acteurs, tous magnifiques.

[pull_quote_left]le plateau s’apparente à un choeur qui cristallise le tumulte d’une humanité entre espoir et perdition, mise à mal et instinct de survie, l’intime et le collectif.[/pull_quote_left]

Karyll Elgrichi (She té) à l’allure tour à tour bohème et androgyne irradie la scène dans un élan fébrile qui se charge de toute la contradiction paradoxale du personnage où se révèle sa complexité porteuse de fragilité, de tension et de doutes. Tandis que François Deblock (Wang le porteur d’eau), son ami à la vie à la mort, s’illustre d’un jeu investi et virevoltant.

Un embrasement dont l’unité fait corps avec la parole engagée du poète…

Amaury Jacquet
Si le droit mène à tout à condition d'en sortir, la quête du graal pour ce juriste de formation - membre de l'association professionnelle de la critique de théâtre de musique et de danse - passe naturellement par le théâtre mais pas que où d'un regard éclectique, le rédac chef rend compte de l'actualité culturelle.

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