Perturbation d’après Thomas Bernhard, mise en scène de Kristian Lupa, à Rouen

ThŽatre de la Colline 2013-14  Coprod Vidy Lausanne " PERTUBATION" d'aprs le roman deThomas Bernhard mise en scne, adaptation, scŽnographie, lumires Krystian Lupa

Hangar 23 – les 18 & 19 novembre 2013 à 19h30
Boulevard Emile Duchemin
76000 Rouen

Créateur de théâtre complet, Krystian Lupa s’impose à la fois comme concepteur d’adaptations, plasticien (il signe lui même les scénographies et les lumières de ses spectacles) et directeur d’acteurs (connu pour son long travail préparatoire avec les comédiens sur la construction des personnages). Ses spectacles sont également marqués par un travail singulier sur le rythme, temps ralenti dans le déroulement de l’action scénique, souvent concentrée autour de moments de crises. On se souvient encore de sa mémorable “Salle d’attente” capable de créer une sidérante intensité, tout en offrant à la représentation d’indomptables dilatations poétiques.

Son théâtre regarde ailleurs. De l’autre côté ou dans les profondeurs. Là où l’homme ne se comprend plus lui même.

Et il faut accepter d’y entrer progressivement, sans rien forcer. Le récit, l’intrigue, la psychologie des personnages, l’efficacité dramatique, la beauté voulue pour elle-même ne sont pas ce qui occupe le metteur en scène polonais.

Son théâtre regarde ailleurs. De l’autre côté ou dans les profondeurs. Là où l’homme ne se comprend plus lui même

Et donc pour son second spectacle en français d’une durée de 4 h30 avec entracte, Krystian Lupa a choisi Perturbation, cette œuvre de prédilection de Thomas Bernhard écrite en 1967 où la maladie des hommes est la conséquence d’une humanité perturbée propre au vertige de la condition humaine.

L’histoire est celle d’un chemin initiatique structurée en deux parties. La première nous conduisant sur les traces d’un adolescent, le narrateur, qui accompagne son père médecin dans sa tournée quotidienne avec lequel les rapports familiaux sont difficiles, et qui découvre des patients qui, par delà leurs maux physiques, sont abîmés par la vie, en proie à une «perturbation» intérieure. S’y révèlent de maison en maison, de secret en secret, de douleur en douleur, leur solitude infinie, leur détresse abyssale et leur folie dévastatrice .

Au milieu de ce chaos, le médecin se fait bien plus qu’un soignant. Il devient le confident de toutes leurs souffrances et leur désespérance. Pour le fils, le voyage se transforme en une expérience apocalyptique, tel un chemin de croix où Bernhard y raconte comment un jeune homme ouvre les yeux sur la perturbation fondamentale du sens de l’existence, et l’effroi qu’elle recèle.

La seconde partie se concentre sur leur dernière visite au château de Hochgobernitz habité par le vieux prince Saurau et sa famille. Le vieillard y vit reclus malgré la présence de ses filles et de ses sœurs, enfermé dans ses pensées et ses doutes où il se laisse aller à un long monologue mystico-philosophique parfois proche du délire.

Un homme tour à tour illuminé ou visionnaire qui cultive avec férocité et jubilation son aversion pour son pays et ses contemporains.

Le dispositif scénique offre un espace organique fluctuant. Avec un champ de vision qui s’élargit par des vidéos murales offrant un jeu en simultané sur scène du père et du fils en route pour leur tournée médicale, tout en accentuant l’introspection entre deux hommes, ou qui se rétrécit par la reconstitution, à travers deux boîtes latérales qui vont et viennent de chaque coté, des lieux intimistes visités par le médecin.

Et Lupa ne s’attache pas à la reconstitution narrative de l’oeuvre mais à son embrasement méditatif et sensitif avec ses turbulences, ses débordements et ses ruptures qui lui permettent de fragmenter des espaces de perdition, d’introspection où se créent alors un autre rapport au monde : sensible et onirique

Et Lupa ne s’attache pas à la reconstitution narrative de l’oeuvre mais à son embrasement méditatif et sensitif avec ses turbulences, ses débordements et ses ruptures qui lui permettent de fragmenter des espaces de perdition, d’introspection où se créent alors un autre rapport au monde : sensible et onirique

La pièce est une longue traversée d’épisodes qui se démultiplient, s’entrechoquent et se chargent de multiples désordres qui viennent bousculer le spectateur, soutenus par un jeu incandescent, une ironie mordante, et des questionnements existentiels.

D’une saisissante interrogation, elle nous renvoie à l’intranquillité du monde mais aussi à des instants de sursaut toujours possibles grâce à l’art pour le vieux prince ou la croyance pour le jeune fils.

Un spectacle puissant porté par une troupe de comédiens qui fait corps avec cette littérature en fusion dont l’expérience crée un bouleversement intérieur.

Amaury Jacquet
Si le droit mène à tout à condition d'en sortir, la quête du graal pour ce juriste de formation - membre de l'association professionnelle de la critique de théâtre de musique et de danse - passe naturellement par le théâtre mais pas que où d'un regard éclectique, le rédac chef rend compte de l'actualité culturelle.

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