A nos amours : toute la beauté du cinéma
J’ai revu A nos amours pour la troisième fois hier soir. La première fois, je l’avais vu sur mon ordinateur portable ; je sortais à peine de l’adolescence. J’avais été bouleversé. La deuxième fois, je l’avais vu à la Cinémathèque française lors d’une séance spéciale présentée par Sandrine Bonnaire. J’avais été bouleversé. La troisième fois, je l’ai vu projeté sur le mur de mon salon ; c’était il y a quelques heures. J’ai été bouleversé, encore une fois. Il est tout sauf aisé de décrire ce que provoque en moi la vision de ce film, de mettre de l’ordre dans ce florilège d’émotions qu’il soulève, de mettre des mots sur tout ce qu’il bouscule, réveille et enflamme dans mon cœur, dans mes tripes et dans mon cerveau. Il me met sens dessus dessous, à chaque fois. Hier soir encore, je suis resté éveillé longtemps après la fin du film. Il fallait que je lise, que j’écrive, que je pense. Et quand j’ai fini par me mettre au lit, j’ai continué à m’agiter pendant de longues minutes. Cela faisait plusieurs mois que j’étais pris dans le quotidien asphyxiant et palpitant d’enseignant-stagiaire, que je ne prenais plus le temps de vraiment penser et sentir les choses en dehors des textes sur lesquels je travaillais pour mes cours. A nos amours m’a rouvert une porte qui était restée entrebâillée tout ce temps mais que je ne prenais plus la peine de voir.
A nouveau, j’ai ri et pleuré avec Suzanne, j’ai senti l’excitation provoquée par les regards des hommes qui se posent comme d’insatiables abeilles sur mon petit corps d’adolescente, j’ai senti la violence des baffes que me collent mon père, ma mère et mon frère après que je suis rentrée trop tard à la maison, et surtout j’ai senti ce vide en moi face à une vie qui ne semble plus rien avoir à m’offrir, ce vide terrible devant un monde qui ne me propose rien à désirer, rien à aimer, ce vide d’un âge où l’on quitte l’enfance sans trop le vouloir mais sans trop résister non plus, où l’on se laisse porter par le vent, par le temps, par les autres, où il faut devenir quelqu’un, se construire, s’affirmer, peut-être se marier, faire des projets, mais où l’envie a disparu, parce que c’est aussi l’âge où l’on apprend qu’il va falloir renoncer à la plupart des illusions qui ont bercé nos jeunes années. Pendant une heure et quarante minutes, j’ai à nouveau été cette Suzanne qui n’a que seize ans et ne croit déjà plus à l’amour.
Il y a chez Pialat une authenticité qu’on ne retrouve chez aucun autre cinéaste, à part peut-être chez Cassavetes. Et cette authenticité n’a rien à voir avec le réalisme. A nos amours n’est pas un film réaliste. Le réalisme, c’est l’illusion du réel. Pialat ne cherche pas l’illusion, bien au contraire : il laisse apparaître la réalité du tournage, les soubresauts du film en train de se faire. Les plans flous ou sous-exposés sont gardés au montage, les bégaiements des acteurs et les grésillements des micros aussi, les faux-raccords pullulent et viennent briser le mirage du cinéma, comme autant de taloches balancées à la gueule du spectateur. C’est précisément dans ce refus de « faire vrai » que le film trouve son authenticité. Dès lors Suzanne est aussi Sandrine Bonnaire, l’actrice débutante et hésitante : la comédienne et le personnage cohabitent dans un même corps, les deux personnalités affleurent en même temps sur son visage, dans ses yeux qui se perdent vers le hors-champ, vers l’infini ; jamais l’une ne s’efface au profit de l’autre. Et c’est ainsi qu’elle devient une des figures les plus vraies et les plus vivantes du cinéma.
A nos amours oscille sans cesse entre l’aridité et le trop-plein : d’un long plan granuleux sur le visage de Bonnaire où les modifications presque imperceptibles de son regard sont les seuls micro-événements auxquels le spectateur se raccroche, on passe à une scène de dispute parfaitement grandiloquente où les acteurs cèdent à une hystérie collective proche du grotesque. Le film fonctionne ainsi par à-coups ; sa narration est totalement déséquilibrée, on saute plusieurs années au détour d’un simple cut, on passe de Porquerolles à Paris en l’espace d’une demi-seconde. Pialat ne cherche pas l’harmonie, la fluidité, car la vie n’est pas harmonieuse ni fluide. Son film nous fait violence, il ne se laisse pas saisir ; il est parfois drôle et tendre, parfois sec, violent et terrifiant, parfois morne et démoralisant, et parfois tout cela à la fois. La dernière scène, qui marque les retrouvailles en même temps que les adieux du père Pialat et de sa fille Bonnaire, est un sommet de beauté ; ces derniers mots timides du cinéaste à son actrice qu’il vient de révéler au public et qu’il laisse finalement voler de ses propres ailes.
A nos amours contient ainsi tout ce qui fait la beauté du cinéma. Il stimule l’intelligence et les sens, il émeut, il chagrine, il console. C’est un coup de pied au cul et une caresse. C’est un film qui est comme un lieu édénique et sinistre à la fois, où l’on ne peut s’empêcher de vouloir revenir. Hier soir encore, j’en suis revenu ébranlé, épuisé, mais apaisé.
Réalisateur : Maurice Pialat
Avec : Sandrine Bonnaire, Evelyne Ker, Pierre-Loup Rajot
Genre : Drame
Une très belle chronique pour un film qui restera un coup de coeur pour beaucoup d’entre nous ! Merci Paul !
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