Brasseur et Les Enfants du Paradis : cinéma et théâtre font bon ménage au Petit St-Martin
Il y a des films dont on pourrait faire des films. Parce que sa réalisation fut une vraie épopée, Les Enfants du Paradis est de ceux-là. A défaut du Septième art, c’est un hommage théâtral qui lui est rendu au théâtre du Petit St-Martin. Brasseur et les Enfants du Paradis est une belle pièce qui esquisse quelques étapes et écueils qui ont jalonné la création du film.
Les enfants du paradis : un chef-d’œuvre dur à terminer
L’entrée en matière de la pièce est délicieuse et légèrement licencieuse. Une nue, diaphane et charnue, prend la pose tandis que Pierre Brasseur la dévore des yeux et la croque. Mais c’est à Arletty qu’il pense amoureusement et à une autre époque…
Alors, bavard et goguenard, il délaisse son tableau pour faire un tour dans son passé. Commence alors un récit passionnant, un monologue à plusieurs voix où Pierre Brasseur va relater, nostalgique, fier et parfois fiévreux, quelques scènes d’antan dont il fut témoin et même acteur. Des scènes d’enfantement de ce fameux film, Les Enfants du Paradis, qui marquât sa carrière.
En remontant le temps, c’est la Seconde Guerre mondiale que Pierre Brasseur fait revivre. En effet, Les Enfants du Paradis a été réalisé sur fond de mort et d’exportations. Mais même sous l’Occupation, l’art doit continuer. Alors, malgré les pénuries d’électricité, les nombreuses interruptions, le rationnement de la pellicule et un tournage rallongé de vingt mois, Marcel Carné l’a fini, et brillamment, ce long-métrage. Une prouesse compte tenu du contexte. Une prouesse suivie d’un succès critique et populaire incontestable à sa sortie. Cerise sur un gâteau déjà bien épais, le film est aujourd’hui classé au patrimoine de l’humanité de l’Unesco. Rien que ça !
Un seul acteur pour une poignée de grands hommes
Mais revenons à la pièce, à Pierre Brasseur… Sur scène, il se souvient. Il extrait de sa mémoire Marcel Carné, Jacques Prévert, Jean-Louis Barrault mais aussi des juifs clandestins, quelques femmes et un résistant assassiné… Tous, à leur façon, ont collaboré à ce film. Mais le duo génial, la pièce maîtresse de l’œuvre, reste Prévert et Carné, le scénariste et le réalisateur. Si différents et si complémentaires, ils sont le sel de cette pièce, ces deux géants.
Une brochette d’artistes à incarner mais un seul comédien sur scène. Alors, comment faire ? Se glisser dans un personnage puis, à la seconde, dans l’autre pour lui donner la réplique. Les dialogues imaginaires sont rapides, rythmés et pourtant, un brin monotone. Lorsque l’acteur s’extirpe du corps de Prévert pour incarner Carné ou Brasseur, sa voix reste pratiquement la même, ses gestes également, tant que les personnages finissent par se confondre. Mais le metteur en scène, Daniel Colas, s’en doutait d’où des dialogues truffés du nom des personnages pour nous orienter, nous, spectateurs, parfois un peu égarés.
Prévert, Carné, Barrault, Brasseur, on les veut tous sur les planches, que l’acteur se décuple !
C’est dommage parce que le texte est beau et fluide, comme si Daniel Colas avait voulu effleurer le génie de Prévert. Mais Prévert, Carné, Barrault, Brasseur, on les voudrait tous sur les planches, que l’acteur se décuple ! Un corps pour autant de génies c’est trop peu… Trop peu.
De Brasseur en Brasseur
La ressemblance de « l’acteur » – ainsi nommé par goût du suspens depuis le début de l’article – avec Pierre Brasseur est absolument frappante mais pas surprenante : pour jouer Brasseur, ils ont pris un Brasseur ! Dans la famille, nous demandons le petit-fils, Alexandre Brasseur. Et le titre de la pièce s’éclaire de sa subtilité… Brasseur et les Enfants du Paradis, pourquoi n’y précise-t-on pas le prénom de Brasseur ? Parce qu’il y a Pierre mais il y a Alexandre aussi ! Et il est bon Alexandre Brasseur, il a de qui tenir, mais le défi était impossible : interpréter et faire échanger tant d’hommes – et des grands ! – c’est plus que du talent qu’il faut, c’est du génie.
Aidé par le travail de mise en scène de Daniel Colas, il n’était pas loin de réussir. Daniel Colas, en effet, est doué et méticuleux. Et avec lui, les détails ne sont pas anodins. Le porte-cigarette dont se sert le petit-fils ressemble à s’y méprendre à celui utilisé par le grand-père. Et la peinture est une activité à laquelle s’adonnait vraiment Pierre Brasseur. La boisson, le bagout, les femmes… On cerne l’homme mais ce n’est pas Brasseur le héros de la pièce, c’est Les Enfants du Paradis.
Date : jusqu’au 31 décembre 2016
Lieu : théâtre du Petit St-Martin
Metteur en scène : Daniel Colas
Avec : Alexandre Brasseur