Cendrillon de Joël Pommerat : une fable initiatique au cœur de l’inconscient
Après le Petit Chaperon rouge en 2004, et Pinocchio en 2008, c’est à Cendrillon que se frotte Joël Pommerat pour nous en proposer un spectacle troublant, à découvrir au Théâtre de la Porte Saint-Martin. Maître dans l’art de réincarner les contes, il en révèle les facettes les plus sombres sans pour autant se défaire de leur magie. Ici, le metteur en scène a troqué la jolie Cendrillon de Disney contre une fillette prépubère prénommée Sandra, traumatisée par la mort de sa mère. À travers elle, il met en relief l’expérience du deuil et propose un voyage dans les affres de la psyché. Entre pulsions de vie et névrose obsessionnelle, sa jeune Sandra est l’héroïne d’un parcours sinueux, à la reconquête de sa propre existence.
La perte comme fil conducteur
La pièce s’ouvre sur la jeune Sandra (Déborah Rouach), au chevet de sa mère mourante. Celle- ci souffle quelques mots quasiment inaudibles à sa fille, qui les comprend de travers. « Pense à moi à chaque instant, ne m’oublie pas et je ne mourrai pas vraiment », entend la fillette… Déterminée à garder sa mère en vie, elle se donne pour impératif de penser à elle 24h/24. Elle a même réglé une alarme sur sa montre, qui la rappelle à l’ordre toutes les cinq minutes ! Quand son esprit divague, c’est le drame et elle est prise d’une immense culpabilité. Pour expier ses oublis elle se détache progressivement de toute trace d’amour propre. Une fois son père (Alfredo Canavate) remarié, elle accepte d’être accablée des tâches ménagères les plus ingrates par son horrible belle mère (Catherine Mestoussis), et consent à se faire appeler Cendrier par ses belles sœurs (Noémie Carcaud et Caroline Donnelly). Alors qu’elle est devenue la bonne à tout faire de la maison, elle fait la connaissance de sa marraine (Noémie Carcaud). Cette fée apprentie magicienne, un peu brut de décoffrage, a surtout le mérite de lui ouvrir les yeux et de lui montrer le chemin de la vie. La marâtre et la marraine, ces deux pôles antagonistes, sont comme des allégories du combat intérieur de la fillette : la culpabilité destructrice face à l’irrésistible envie de vivre.
Au delà du Happy End , un salut personnel
Joël Pommerat met en scène toutes les étapes du deuil, du choc post-traumatique à l’autopunition, pour enfin aboutir à l’acceptation. La fin de la pièce est heureuse, mais elle correspond à l’aboutissement du propre cheminement de l’héroïne. Sandra réalise qu’elle ne peut se laisser happer par le passé, qu’elle doit aller de l’avant. Si la rencontre avec le prince (Caroline Donnelly) fait office de déclic, celui-ci n’en devient pas pour autant un sauveur ! Aussi juvénile et chétif que l’héroïne, tout autant obsédé par sa mère, il fait figure d’homologue masculin. Cette dualité est d’ailleurs soulignée à travers quelques clins d’œil complices au conte de Charles Perrault : Ce n’est pas Sandra, mais le prince qui offre son soulier en guise de souvenir. Il s’agit d’ailleurs plus d’un gage d’amitié que d’une promesse d’amour. Il en est de même lors de l’étreinte finale, loin du baiser attendu elle apparaît plus comme une marque de soutien. Chez Pommerat, la romance est troquée contre une relation fraternelle entre les deux personnages, un peu comme deux âmes perdues dont les chemins se sont croisés.
Un conte cruel et une ode à la vie
En reprenant Cendrillon, le metteur en scène souhaitait créer une pièce “sur la mort, sur la vie et sur le temps”. Contrairement à ce que l’on peut craindre avec une telle ambition, la pièce se dévoile toute en légèreté. L’humour y est pour beaucoup ! Que ce soit dans la voix tonitruante de la marâtre, convaincue de « faire plus jeune » que son âge, du père engoncé dans un costume de Louis XVI, ou encore du franc-parler de la marraine bien décidée à dévergonder sa filleule, les occasions de rire ne manquent pas ! Le metteur en scène développe ainsi des thématiques existentielles, sans jamais tomber dans la lourdeur d’un développement conceptuel. L’enchaînement des scènes est d’autant plus agile qu’il y a dans l’esthétique de la pièce quelque chose de surnaturel. Dès le début, on est captivé par une voix off enchanteresse, relayée par une héroïne déconcertante, à la fois enfantine et mature. Le tout raisonne dans un décor fait de lumières oniriques et de grandes projections murales. Même la maison familiale en verre, semble appartenir à une dimension parallèle ! Les oiseaux s’y cognent, et les arbres s’y reflètent comme dans une grande cloche de cristal. Du début à la fin, cette esthétique hypnotise complètement le spectateur et le plonge dans les recoins les plus sombres de son subconscient.
Loin des fables édulcorées, Joël Pommerat poétise l’existence dans ce qu’elle a de plus fragile. Avec Cendrillon, il crée une expérience plus qu’un spectacle, tant il nous renvoie à nos propres incertitudes intérieures. On en sort bouleversé, un peu secoué mais la tête remplie d’étoiles !
» En collaboration avec le Théâtre National Wallonie-Bruxelles et la Compagnie Louis Brouillard
Une création théâtrale de Joël Pommerat d’après le mythe de Cendrillon
Mise en scène de Joël Pommerat
Avec Alfredo Cañavate, Noémie Carcaud, Caroline Donnelly, Catherine Mestoussis, Nicolas Nore, Deborah Rouach, Marcella Carrara, Julien Desmet.
Scénographie / Lumière Eric Soyer. Costumes Isabelle Deffin. Son François Leymarie. Vidéo Renaud Rubiano. Musique originale Antonin Leymarie.
Collaborateur artistique Philippe Carbonneaux.
Résumé : La pièce. A la mort de sa mère, une très jeune fille se fait la promesse de ne jamais cesser de penser à elle plus de cinq minutes… Elle suit son père dans une maison de verre où les attend une nouvelle famille. Cette Cendrillon nous parle du deuil, du désir de vivre, du pouvoir de l’imagination et des mensonges des adultes.
Avec une délicatesse qui n’exclut pas l’humour, Joël Pommerat aborde encore une fois les questions graves et vitales de toute enfance.
Durée 1h40
Théâtre de la Porte Saint Martin, 18 boulevard saint martin
du mardi 25 juillet 2017 au dimanche 6 août 2017