Detroit de Kathryn Bigelow, en plein cauchemar
L’évocation des émeutes de 1967 à Detroit dans un film fort en émotion prend des résonances particulièrement actuelles à l’heure où les tensions raciales semblent atteindre un nouveau pic aux Etats-Unis. 50 ans après des évènements qui ont couté la mort à 3 jeunes noirs dans un hôtel de Detroit, Kathryn Bigelow ravive le souvenir d’une bavure policière crasse et emplie d’un racisme obscène. La réalisatrice empreint ses images d’une tension qui ne retombe presque jamais durant les 2h23 d’un film bien plus pesant que n’importe quel film d’horreur. Car l’homme peut être une créature finalement bien plus malfaisante que n’importe quel clown de fantaisie…
Caméra au poing
Le film débute avec un constat animé qui donne le ton du film. Les mouvements de population incontrôlés aboutissent à des sacs de noeud sociaux. Le départ des classes moyennes blanches vers les banlieues et leur remplacement dans le centre ville par des communautés plus pauvres portent en eux les germes d’inégalités destinées à se perpétuer, voire à se renforcer. Ajoutez à cela la stigmatisation d’une communauté noire associée à la délinquance et inlassablement poursuivie par une police blanche brutale et binaire, vous trouvez toutes les germes d’un drame que Kathryn Bigelow tourne avec un réalisme crispant. Tandis que les émeutes atteignent leur troisième jour de ravages, des coups de feu sont entendus en provenance de l’hôtel Algiers. Le danger ressenti pat la police leur fait adopter des comportements au maximum de la violence quand ils mettent la main sur des suspects et essayent d’identifier le responsable. Avec une application grandeur nature de la théorie de Milgram, celui qui revêt les attribut de l’autorité peut se permettre tous les abus, légitimé ici par son statut de protecteur de l’ordre. La réalisatrice de Zero Dark Thirty et Démineurs sait y faire pour instiller une tension constante dans la confrontations des êtres humains avec leurs peurs intimes. Quidams noirs et policiers blancs représentent ici deux catégories que la société fait constamment s’affronter, avec son lot de soupçons et de défiance, prisonniers qu’ils sont de préjugés instillés depuis toujours dans leurs esprits. Comme s’ils étaient conditionnés pour ne pas éprouver d’empathie les uns pour les autres…
Un cinéma de l’inconfort
Le scénario reprend le fil de l’histoire véritable et donne à 3 policiers blancs les rôles de crapules racistes. Face à eux, les supposés suspects noirs ne pèsent pas bien lourd. Chacun des témoins du drame qui se noue détient pourtant à chaque instant la capacité d’arrêter la casse et pourrait intervenir mais personne ne le fait. La garde nationale, les autres policiers, même le gardien noir interprété par John Boyega, tous sont tétanisés devant le policier sadique Will Poulter et ses sbires. L’impuissance ressentie autant par les victimes noires que les collègues blancs place le spectateur dans une position inconfortable, il souhaiterait intervenir… mais le ferait-il vraiment s’il en avait l’occasion? En insistant sur les ressorts psychologiques du drame, Kathryn Bigelow interroge toute l’audience. Sa manière de laisser les acteurs improviser pendant de très longues minutes donne au film des accents de véracité qui touchent d’autant plus. Et le résultat se rapproche véritablement du film d’horreur. Les coups pleuvent, les victimes s’accumulent sans que rien ne puisse faire sortir les personnages de la pièce qui se joue. La cruauté est ressentie une intensité stupéfiante par des spectateurs cloués au siège.
Detroit démontre une fois de plus que le cinéma peur révéler le pire et le meilleur de l’être humain dans des schémas simples et complexes à la fois. Kathryn Bigelow sait y faire pour aller au delà des apparences et aborder la psychologie de personnages dont personne n’aimerait prendre la place…
Été 1967. Les États-Unis connaissent une vague d’émeutes sans précédent. La guerre du Vietnam, vécue comme une intervention néocoloniale, et la ségrégation raciale nourrissent la contestation.
À Detroit, alors que le climat est insurrectionnel depuis deux jours, des coups de feu sont entendus en pleine nuit à proximité d’une base de la Garde nationale. Les forces de l’ordre encerclent l’Algiers Motel d’où semblent provenir les détonations. Bafouant toute procédure, les policiers soumettent une poignée de clients de l’hôtel à un interrogatoire sadique pour extorquer leurs aveux. Le bilan sera très lourd : trois hommes, non armés, seront abattus à bout portant, et plusieurs autres blessés…
Sortie : le 11 octobre 2017
Durée : 2h23
Réalisateur : Kathryn Bigelow
Avec : John Boyega, Will Poulter, Algee Smith
Genre : Drame, Thriller