Fin de la parenthèse, une bande dessinée voluptueuse et ensorcelante de Joann Sfar (Rue de Sèvres)
Avec cet album, Joann Sfar met définitivement à mal la barrière symbolique qui sépare la peinture de la bande dessinée, en proposant un prolongement de l’œuvre de Salvador Dali sous la forme d’une réflexion sur les affres de la création artistique.
Seabearstien, peintre maudit, n’en peut plus de cette vague d’obscurantisme religieux qui s’étend sur la France. Déterminé à prouver que l’art peut lutter contre toute forme d’oppression intellectuelle, Seabearstien décide de mettre en place une expérience artistique hors du commun. Il convoque ainsi quatre modèles de haute couture pour s’enfermer nues avec lui dans un château perdu quelque part dans Paris. En recréant plusieurs des tableaux du maître du surréalisme, il espère pouvoir faire renaître son esprit…
Dés la préface de l’album, Joann Sfar en annonce la couleur : « Le livre dessiné que vous tenez en mains n’est que la transcription d’une expérience réelle, vécue à Paris l’an dernier par quatre modèles et un dessinateur.» Au-delà de la simple retranscription d’une expérience (dont on se moque bien de savoir si elle s’est véritablement déroulée, tant son caractère fantasmagorique l’emporte sur tout le reste), l’album devient une sorte de point central, un terrain de jeux que se partagent Dali et Sfar. Et le moins que l’on puisse dire c’est que cette rencontre s’avère des plus fructueuses : les deux univers, malgré leurs différences formelles respectives, finissent par s’imbriquer naturellement, au point que l’on finit par avoir l’impression de trouver du Sfar chez Dali.
En dépit de son sujet qui semble être situé hors du temps (les cinq personnages vivent reclus dans un château coupé du monde extérieur), le nouvel album de Joann Sfar est en réalité parfaitement ancré dans son époque. À l’origine de son concept se trouve en effet une interrogation qui fait tristement écho aux tragiques évènements actuels : l’art a-t-il encore la force de lutter contre l’obscurantisme religieux ? La complexité de ce thème est abordée à travers le prisme de plusieurs personnages qui se confient chacun leur tour et voient dans l’art un moyen de faire reculer la barbarie. Le mot « Daech » n’est jamais prononcé par les personnages, Joann Sfar préférant écrire par non-dits afin de laisser le lecteur maître de son propre jugement.
Dans cet album qui met la féminité au cœur de son esthétique, les formes semblent fragiles, tout en courbes et en postures lascives. À mesure que l’album se déroule, les cases s’agrandissent de plus en plus, comme pour se libérer de la contrainte du gaufrier classique et laisser plus de place à ces corps de femmes qui s’étendent. Ces corps au désir à fleur de peau font pourtant rimer érotisme et morbidité, comme les deux faces d’une même fesse, croquée avec malice par Joann Sfar (« Tu crois qu’il va réussir à faire bosser quatre filles à poil en vase clos pendant quatre jours et quatre nuits sans retirer ses vêtements ? » p. 37). Le repli de ces personnages sur eux-mêmes finit par avoir des accents de fin du monde, comme si l’érotisme devenait un refuge contre la menace qui gronde. Dans sa manière de mêler érotisme et mise en scène suffocante, l’album de Sfar peut être rapproché de The Dreamers de Bernardo Bertolucci, qui fait lui aussi de la sexualité un objet politique.
Album surréaliste et envoutant, Fin de la parenthèse agit comme un sortilège qui donne envie de se replonger dans les œuvres du grand maître Dali. Comme pour mieux souder les liens entre la peinture et le neuvième art, la parution de l’album sera accompagnée d’une exposition à l’Espace Dalí, dans le 18e arrondissement de Paris du 9 septembre 2016 au 31 mars 2017, intitulée « Une seconde avant l’éveil », dans laquelle les dessins originaux de l’album seront exposés.
Seabearstein met fin à son exil d’artiste maudit pour participer à une expérience artistique hors normes. L’art étant à ses yeux la seule issue possible pour une société en prise avec un obscurantisme croissant, le peintre est chargé de réveiller le seul prophète non-religieux possible, qui n’est autre que Salvador Dali, maintenu cryogénisé à Paris. Il devra pour cela invoquer son esprit grâce aux mises en scènes de quatre modèles de haute couture qui recomposent des tableaux de Dali. Coupés de toute communication avec le monde extérieur, ils embarquent pour un trip mystique et philosophique totalement inédit.
Sauront-ils faire renaître l’esprit du peintre surréaliste ? Et s’ils y parviennent, que pourront la culture, la connaissance et l’amour dans un monde chahuté ? Questions d’autant plus fondamentales que notre héros sera, à l’issue de cette parenthèse, confronté à une réalité violente.
Date de parution : le 14 septembre 2016
Scénariste(s) : Joann Sfar
Dessinateur(s) : Joann Sfar
Editeur : Rue de Sèvres
Prix : 20 € (112 pages)
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