Dans les forêts de Sibérie : un hymne à la solitude et à la nature
Dans les forêts de Sibérie est d’abord un livre tiré tout entier du vécu de Sylvain Tesson. Cet écrivain-aventurier stupéfiant refuse la vie de tout le monde, la routine et la société devenue « hystérique et bruyante ». C’est un autre chemin qu’il a pris : celui des voyages, de l’aventure et du danger. Etudiant, il traverse l’Islande à vélo. Ce premier voyage porte tous les autres en lui, il ne s’est plus jamais arrêté : le tour du monde en bicyclette, la traversée de l’Himalaya, les steppes d’Asie centrale, la Russie de long en large … et bien sûr cette vie d’ermite pendant 6 mois sur les bords du lac Baïkal en Sibérie. Un rêve de longue date enfin réalisé.
Safi Nebbou, le réalisateur de ce film au titre éponyme, lorsqu’il a lu l’œuvre de Sylvain Tesson il y a quelques années, a senti naître l’envie de la transposer à l’écran. C’est chose faite… mais en chamboulant totalement le scénario.
« Je suis venu me rapprocher de ce que je ne connais pas : le froid, la solitude et le silence ». Teddy a un besoin impérieux de s’éloigner du monde. Pourquoi ? Pour avoir « la paix », pour se retrouver en silence loin des autres… Alors, il se retire un an dans une cabane de bois modeste et sans électricité sur les rives gelées de la plus grande réserve d’eau douce terrestre : le sublime lac Baïkal. Là, en plein hiver, il prend ses quartiers. Sur cette terre hostile et vide, il va rencontrer Aleksei, un Russe en cavale pour meurtre qui se cache ici depuis 12 ans. Une amitié improbable va se former…
Raphaël Personnaz qui joue Teddy est pratiquement le seul acteur de ce film. Et il est emballant, radieux lorsqu’il explose d’une joie enfantine sur la glace. Le sourire jusqu’aux oreilles, le bonheur rayonnant, il s’étale sur le lac, fait des glissades, court, patine… Ces instants de jouissance sont des plus beaux du film. Ceux où l’on sent puissamment tout le bien que lui procure son isolement et la nature. Mais la base du scénario est une quête intérieure, celle de Teddy vers lui-même et loin des autres. Raphaël Personnaz qui incarne joliment l’innocence et l’exaltation de la liberté retrouvée, a plus de mal à jouer le rôle de cet homme fatigué par la société. Comme si lui-même ne pouvait interpréter cette sensation d’étouffement, de trop, de dépassement qu’il n’a pas connu du moins à une telle intensité. Dans ses silences, on voudrait qu’il nous en dise plus. Pour comprendre ses raisons. Mais ce film contemplatif laisse la porte ouverte à toutes les interprétations de cette mise au ban volontaire de la société… Chacun peut y mettre ce qu’il veut.
A-t-on dit que Raphaël Personnaz était l’acteur principal ? Une erreur. Le protagoniste du film, c’est la nature. Incontestablement le plus beau, le plus vibrant et le plus sincère des personnages. Elle prend presque toute la place et tant mieux puisqu’on n’est jamais rassasié de la voir défiler sous nos yeux. La beauté du lac Baïkal bordé de montagnes est incomparable. Nous redevenons des enfants émerveillés.
Au milieu de cette nature brute va se forger une amitié puissante et pudique. Aleksei est un tueur mais Teddy n’en a cure, le Russe lui a sauvé la vie. Il n’y a pas de morale, les sentiments prennent le dessus sans juger… Dans ce désert gelé, une fraternité solide vient réchauffer ces deux cœurs isolés… Un peu facile, trop romanesque. On prend quand même. Notons la prestation d’Evgueni Sidikhine qui est remarquable dans ce rôle de vieil ours solitaire en cavale aux sentiments enfouis.
Fermez-les yeux et vous entendrez une trompette… L’inspiré Ibrahim Maalouf qui a déjà créé la bande originale d’Yves Saint-Laurent, La crème de la crème, Je vous souhaite d’être follement aimée … a posé ses créations musicales sur le film de Safi Nebbou. Et pour célébrer cette nature qui nous dépasse, il a inventé une musique solennelle, presque grandiose. Une musique d’épopée qui nous fait voyager au-dessus du lac Baïkal et des forêts âpres de Sibérie. Parfois pourtant, se glisse une impression de dissociation entre la bande originale et les images qui nous soufflent deux histoires différentes. Comme si le paysage exalte notre désir de solitude et de pureté tandis que la musique nous invite au voyage et au respect de cette immense nature. Deux discours, deux sensations différentes. Un mélange surprenant mais la musique ne parle pas de la même façon à tout le monde.
En salle le 15 juin, n’hésitez pas à vous y rendre pour un grand bol d’air très frais (- 30°).
Sortie : le 15 juin 2016
Durée : 1h45
Réalisateur : Safy Nebbou
Avec : Raphaël Personnaz