Frédérick Wiseman à l’écoute (Playlist Society) ou le sens des images
Les éditions Playlist Society lancent une nouvelle collection intitulée Face B avec des livres au format poche qui proposent des focus courts et pénétrants sur des artistes majeurs de notre époque. Le premier volume sort en librairies le 24 octobre prochain et s’intéresse au réalisateur, scénariste, producteur, monteur, preneur de son et même interprète américain Frédérick Wiseman. Un essai et un entretien au long cours évoquent tout son art pour capter des images pleines de sens à la portée quasiment sociologique et à la sincérité dramatique.
Un regard critique et aiguisé
Né en 1930, Frédérick Wiseman a traversé la second partie du XXe siècle en réalisant environ un film par an jusqu’à aujourd’hui. Diplômé de la prestigieuse Yale Law School, sa carrière toute tracée de professeur de droit l’ennuie pourtant très rapidement, lui qui intègre l’université d’Harvard entre 1959 et 1961 avant de tourner son premier documentaire Titicut Follies en 1967 dans un hôpital pour aliénés criminels de Bridgewater dans le Massachusetts. C’est le début d’une carrière riche d’une quarantaine de documentaires qui creusent le sillon d’une analyse sans concession des institutions américaines. Commissariat, agence de mannequins, champ de courses, service de soins intensifs, Madison Square Garden, Frédérick Wiseman s’intéresse à tout ce qui compose la société américaine pour mieux la cerner et la mettre en abime. Son constat est que les grandes institutions créées en principe à des buts d’intérêt public sont perverties par des systèmes bureaucratiques qui mènent à une implacable déshumanisation. D’autres films abordent les pièges de la société de consommation et ses mirages. Ses pérégrination le mèneront également à l’étranger, notamment en France pour des documentaires plus culturels centrés sur le théâtre français.
Un artisan de l’image
L’ouvrage décortique la méthode de travail minutieuse et inlassablement répétée de Frédérick Wiseman pour une plongée dans son travail d’artisan de l’image, jusqu’à révéler tous ces éléments devenus sa marque de fabrique. Les tournages évitent à tout prix les interviews, commentaires et musiques additionnelles pour privilégier la spontanéité des individus dans le cadre. Le réalisateur se fond dans son environnement jusqu’à devenir invisible pour accumuler des centaines d’heures de rush et n’en conserver après un montage minutieux montage que la substantifique moelle nécessaire à son sujet. Il téléguide également le cadreur et assure la prise de son pour des images riches en profondeur, à la beauté désincarnée et saisies sur le vif. Des mois de montage sont nécessaire pour donner du sens aux silences et effectuer des rapprochements entre des séquences a priori sans connections. La mosaïque des images convoque l’attention du spectateur pour l’engager à une vraie réflexion personnelle sur des sujets de société troublants. Autant d’éléments qui sont abordés dans un livre à la clarté cristalline et aux détails si pertinents qu’il ne reste plus ensuite qu’à regarder les documentaires du réalisateur pour en apprécier la pertinence. Séverine Rocaboy, Quentin Mével et Laura Fredducci ont abattu un travail impressionnant pour une analyse pleine de sens en seulement 128 pages denses et passionnantes.
L’ouvrage Frédérick Wiseman à l’écoute lève le voile sur une oeuvre qui gagne à être plus largement connue du grand public. La porte d’entrée est toute ouverte et la lecture attentive de l’ouvrage donne des clés pour en apprécier toute la profondeur.
En cinquante ans et plus de 40 films, Frederick Wiseman s’est imposé comme un maître du documentaire, observant sans relâche le fonctionnement quotidien des institutions. Muni de son micro et accompagné de son cameraman, il a su extraire des situations observées leur substance tragique, voire même leur drôlerie paradoxale. D’une prison psychiatrique à un lycée, d’un hôpital à une bibliothèque, il a dressé une cartographie de tous ces lieux où se structure la société américaine.
Frederick Wiseman, à l’écoute, composé d’un essai et d’un entretien au long cours, aborde quelques-unes des œuvres majeures du réalisateur. De la préparation au montage, en passant par le financement et le tournage, ce livre permet de plonger avec le cinéaste, étape par étape, dans la fabrique de ses films, dont l’inoxydable modernité inspire les plus grands, de Martin Scorsese à David Simon.
Date de parution : le 24 octobre 2017
Auteur : Séverine Rocaboy, Quentin Mével et Laura Fredducci
Editeur : Playlist Society
Prix : 9 € (128 pages)
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