Illégitime d’Adrian Sitaru ou la peur du vide
Illégitime est un film roumain d’Adrian Sitaru, un vrai bâton de dynamite dont l’explosion est prévue pour le 8 juin. Le film ne baisse pas de rythme 1h30 durant avec une série de déflagrations familiales qui laissent le spectateur pantois. Les secrets se dévoilent, les masques tombent et pas un personnage n’est épargné par les outrances du scénario. Une famille peut elle survivre à l’usurpation des règles morales qui fondent les liens de la fratrie ? Le film interroge sur le sens du sacré et de l’identité dans le cadre familial avec une sincérité qui interpelle…
Un repas familial dégénère tandis que le passé troublé du père fait surface. La dispute qui en résulte n’est que le premier niveau de la catastrophe qui n’annonce. La divulgation en chaine de secrets soigneusement cachés sous les attitudes habituellement convenues va confronter les membres de la famille à des choix moraux inédits. Passé trouble du père sous Ceausescu, opinions divergentes sur la question de l’avortement et surtout relation entre frère et soeur jumeaux font craindre le pire pour le fragile équilibre familial.
Après 5 ans d’absence, Adrian Sitaru revient avec un 6e film qui choisit délibérément le choc frontal. Collusion avec un régime dictatorial, avortement, inceste, le film pourrait enchainer les sujets brulants jusqu’à saturer les spectateurs. Et pourtant le film se suit comme un passionnant thriller sociologique. Avec une absence totale d’effets visuels et d’AR dans le temps, la narration reste limpide grâce à sa simplicité. Les malaises et incompréhensions interrogent sur la capacité de chacun à envisager l’incompréhensible. Les tabous fondent des règles de vivre ensemble même si eux mêmes sont susceptibles d’évolution. L’avortement était encore interdit il y a peu, l’homosexualité était passible de peine de prison jusqu’en 1982 en France. Un exemple récent : Le conseil d’éthique allemand a proposé en septembre 2014 de dépénaliser les relations sexuelles en frère et soeur adultes (tout en recommandant de durcir les sanctions dans les cas de relations incestueuses avec un mineur).
Ces quelques exemples mettent un cadre pour un film qui propose allègrement d’en sortir. Pour une surprise continue tout le film durant. Le sens du sacré dans la famille est battu en brèche avec ces échanges de coups entre père et fils, ces relations charnelles entre frère et soeur et cette surprise additionnelle. Le film pourrait se contenter d’être simplement licencieux voire scabreux et pourtant il réussit à captiver. Par sa mise en scène nue et littérale, il abolit la distance et fait pénétrer dans l’intimité de ce cercle familial. Frères, soeurs, père, tous basent leur identité sur des rapports normés et des repères partagés. Quand un nombre significatif d’entre eux se retrouvent annulés, la peur du vide laisse craindre une fin de la société humaine. Et pourtant, le film insiste sur l’empathie fraternelle inaliénable pour sortir de l’ornière… Les acteurs mettent tous l’accent sur la sobriété même au plus fort de la crise, du grand art.
Sortie : le 8 juin 2016
Durée : 1h29
Réalisateur : Adrian Sitaru
Avec : Alina Grigore, Adrian Titieni, Robi Urs
Genre : Drame