Insaisissable The Square
Visionner pour la première fois une Palme d’or génère d’emblée un nécessaire et inévitable double questionnement: The Square aurait-il bénéficier d’une telle exposition sans la Palme et sa qualité justifie-t-elle l’auguste récompense. Force est de constater que le précédent film de Rubens Ostlund Snow Therapy avait créé un buzz relatif auprès d’un public averti et une bienveillance naturelle pouvait accueillir l’annonce de cette Palme d’or surprise. Sauf que le double positionnement sociologique et philosophique de The Square complique les choses. Loin d’apporter la jubilation que l’on est en droit d’attendre d’une Palme d’or, le film se montre à la fois retors et obscur. De là à penser qu’il se rangera dans la catégorie des films qui tomberont dans l’oubli, il n’y a qu’un pas, même si c’est forcément plus compliqué que ça.
Un positionnement précaire
Le protagoniste principal Christian interprété par Claes Bang a d’emblée tous les attributs du personnage antipathique. Directeur d’un musée d’art contemporain, il organise des expositions aux visées universelles pour interroger les visiteurs sur eux mêmes. Sauf que ceux-ci se font rares et qu’un élitisme clivant est savamment entretenu. Le dernier projet intitulé The Square se veut une interrogation sur une supposée hostilité croissante entre les êtres humains avec une installation minimaliste qui propose de la mettre en abime avec un carré dans lequel la bienveillance et l’altruisme sont de mise. Mais une équipe marketing brouille le message avec une campagne de communication polémique qui génère une crispation telle que le directeur se retrouve mis en danger. Voilà en substance le message d’un film qui appuie sur les contradictions d’un homme et d’un système. L’échec du musée est mis en rapport avec l’attitude hypocrite de tous ceux qui le soutiennent. Les généreux donateurs philanthropes se révèlent tout aussi ambigus que leur poulain et ce petit microcosme se révèle surtout coupé de la réalité et des contingences de ce monde. The Square enchaine les scènes inconfortables et répète de manière si continuelle son message que l’effet produit est presque contraire sur le spectateur finalement perplexe. De là à penser que le réalisateur le fait sciemment, il n’y a qu’un pas.
Une intrigue absconse
L’adage Faites ce que je dis, ne faites pas ce que je fais sert de fil rouge à un film qui stigmatise de plus en plus un Christian beaucoup plus velléitaire qu’il ne le souhaiterait. Il a beau rouler en voiture électrique et tenter d’aider son prochain avec des actions minuscules, il reste le jouet d’un système finalement superficiel. Et tous ceux qui gravitent autour de lui en souffrent. Le collègue zélé qui l’aide à retrouver ses portefeuilles et portables volés, ses deux filles victimes du divorce de leurs parents, cette journaliste éprise de lui, tous souffrent de sa duplicité et de ses contradictions. Il a beau se vouloir irréprochable, ses actions le désavouent si ouvertement qu’une réflexion plus profonde surgit sur les véritables intentions de la caste qui gravite autour du musée. Le film propose un éclaircissement avec le happening que montre l’affiche du film. Un performer singe un primate hirsute lors d’une soirée de bienfaisance qui regroupe les soutiens fortunés du musée avec un dénouement qui en dit long sur le véritable fond de ceux qui financent le musée. Ils sont finalement comme Christian, coupés de toute réalité.
Une Palme pour rien?
Arrivé à ce stade de l’article, une question peut germer dans l’esprit du lecteur: oui, et alors? L’inconfort provoqué par le film et son jeu de miroir déformant justifie-t-il sa récompense? Si on ajoute l’attitude condescendante de journalistes qui clouent au piloris le directeur après le scandale provoqué par la fameuse publicité de l’exposition, la critique de la société de consommation avec un Christian plongé dans une mare de poubelles, la présence omniprésente de réfugiés dans les rues, l’attitude hostile de la population à leur égard, The Square a tout du film donneur de leçons. Le réalisateur ne souhaite rien de moins que de montrer l’échec de notre société qui sépare les individus et les monte les uns contre les autres. D’aucuns se demanderont s’il n’y avait pas une manière plus simple et plus universelle de transmettre le message. Surtout que le traitement du film privilégie un faux rythme constamment truffé de longueurs et de silences qui useront un certain nombre de patiences.
L’ambition humaniste de The Square a beau être louable, le film ne touchera qu’un public restreint, démontrant par l’exemple son peu d’ampleur. La critique manque sa cible et il n’en reste qu’un exercice de style vain.
Christian est un père divorcé qui aime consacrer du temps à ses deux enfants. Conservateur apprécié d’un musée d’art contemporain, il fait aussi partie de ces gens qui roulent en voiture électrique et soutiennent les grandes causes humanitaires. Il prépare sa prochaine exposition, intitulée « The Square », autour d’une installation incitant les visiteurs à l’altruisme et leur rappelant leur devoir à l’égard de leurs prochains. Mais il est parfois difficile de vivre en accord avec ses valeurs : quand Christian se fait voler son téléphone portable, sa réaction ne l’honore guère… Au même moment, l’agence de communication du musée lance une campagne surprenante pour The Square : l’accueil est totalement inattendu et plonge Christian dans une crise existentielle.
Sortie : le 18 octobre 2017
Durée : 2h22
Réalisateur : Ruben Östlund
Avec : Claes Bang, Elisabeth Moss, Dominic West
Genre : Comédie dramatique
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