Judith, une pièce écrite et mise en scène par Cédric Lavie
Allemagne, 1960. Chaque année depuis 15 ans, 5 amis se retrouvent pour partager un moment de légèreté. Rires et discussions fusent. Contrairement aux années précédentes, Isaac insiste pour recevoir ses convives dans une maison perdue dans les bois. Joseph vit un divorce tourmenté, David enchaine les conquêtes féminines, Moise est un rabbin toujours en retard sauf avec Dieu, Pierre est le seul goy de la bande. Les verres se remplissent jusqu’à ce qu’Isaac ne propose une variation inédite à leurs rencontres. L’évocation des années de déportation va chambouler le déroulement intangible de leur rendez vous et ressusciter le souvenir de Judith…
Judith débute comme une pièce insouciante. L’ordonnancement de la réunion suit un cours rien de moins qu’habituel. Le rabbin arrive en retard, les amis échangent sur leurs situations respectives avec piques truculentes et réparties inconséquentes. Le rendez vous est immuable car chacun peut s’y livrer en toute honnêteté et retrouver le soutien d’amis indéfectibles. Le spectateur se laisse tranquillement endormir par cette ambiance de joyeuse agape. De multiples références à la judaïté attire toute de même l’attention. 1960, soit 15 ans après la fin du deuxième conflit mondial, la proximité temporelle ne laisse que peu de doutes sur les difficiles épreuves traversées par les personnages. La vie a repris ses droits, les terribles évènements semblent renvoyés dans le passé.
Un vrai moment de theatre à visée humaniste.
Mais ne nous y trompons pas, la pièce n’est pas un simple divertissement et l’expérience de la Shoah est au coeur de l’intrigue. Isaac fait ressurgir violemment un passé que chacun souhaiterait depuis longtemps digéré. Mais la plus cruelle abjection reste toujours sur l’estomac et sa simple évocation en fait ressortir les détails les plus sordides. La pesanteur s’installe inéluctablement et la gravité remplace l’allégresse. Cédric Lavie surprend par cette dichotomie dramatique. Des personnages apparemment quelconques deviennent des survivants miraculeux pas si honnêtes que ça. Derrière les apparences les plus ordinaires, chacun a une histoire à raconter, et les perspectives se brouillent. L’invocation des souvenirs amène la tourmente et les partis pris philosophiques.
Sujet tragique souvent abordé au cinéma ou dans la littérature, la Shoah ne cesse de se faire questionner sur ce qui fait l’homme. Les Bienvaillantes creusait la question de la dilution de la responsabilité personnelle qu’Hannah Arendt avait fait surgir dans son concept philosophique de « Banalité du mal« . Les plus ordinaires individus peuvent se transformer en bourreaux par l’entremise d’une dépersonnalisation finalement et scandaleusement banale. Le film Hannah Arendt de 2012 montrait la prise de conscience par la philosophe de cette réalité certes ignominieuse mais rien de moins que triviale. Kate Winslet dans The Reader personnifiait un personnage simple et limité, ancienne gardienne de camp dépassée par l’ampleur des évènements. Quoi faire d’autre qu’obéir aux ordres dans un contexte militaire et procédurier ? Que ce soit dans un KG ou dans un régiment, le respect de la discipline est une même obligation, par delà les scrupules humanistes…
Judith interroge sur ce qui fait la différence entre tortionnaires et victimes. La frontière n’est-elle pas plus ténue qu’il n’y parait ? Le struggle for life devient plus littéral que jamais dans un contexte de quasi famine, amenant des comportements criminels que l’environnement explique sans justifier. Mais je m’emporte et pourrais philosopher sur le sujet encore et encore. Il ne vous reste qu’à aller voir cette pièce au drame poignant et aux rebondissements surprenants. Un vrai moment de theatre à visée humaniste.
Dates : A 20 au 25 janvier 2016
Lieu : Théâtre Adyar, 4 square Rapp, 75007 Paris
Metteur en scène : Cédric Lavie
Avec : Michel Albertini, Nikolaï Arutene, Yves Penay, Philippe Pierrard, Laurent Sao, Jan Oliver Schroeder
Plus d’infos sur : http://www.judithlapiece.com/
Très bel article Stanislas 😉 merci à toi !