Et moi, je vis toujours, le livre posthume de Jean d’Ormesson (Gallimard)
Jean d’Ormesson a écrit un livre assez extraordinaire. Sans doute savait-il qu’il ferait partie de ses derniers, l’avant-dernier pour être exact. Son titre est très révélateur : Et moi, je vis toujours. Effectivement quand on lit ce livre, on ne peut pas imaginer que Jean d’Ormesson n’est plus vivant. Quelle écriture époustouflante et pleine de vie ! Et quelle culture !
Pas vraiment de scénario mais toute une histoire !
Ce livre est écrit à la première personne. Mais le JE ne représente pas l’auteur, mais l’Histoire. L’histoire de l’humanité entière. L’auteur nous fait partager toute sa culture, toute sa passion de l’Histoire et ses passions littéraires et historiques.
Bien sûr, le lecteur est un peu perdu au milieu de tant de connaissances, de tant de détails passionnants. Et en même temps, les très nombreuses références de d’Ormesson nous ravissent et nous renvoient à notre propre culture, à nos propres héritages littéraires ou scientifiques. Quelle richesse de lire près de 300 pages en ayant l’impression de mieux comprendre l’humanité. Même si on ne peut que se sentir ignares face à tant de savoirs.
Découvertes de l’homme pour l’humanité
Enormément de détails, de faits qui ont marqué l’Homme, que ce soit dans un passé très lointain ou plus proche de nous. L’auteur le fait avec le sérieux d’un académicien et la légèreté d’un homme aimant la vie. On le voit rire à travers les lignes quand ils racontent les conquêtes ou les amours des uns et des autres… Il n’hésite pas à porter des jugements très personnels et souvent bien judicieux sur les grands hommes qui ont traversé les siècles.
Cette sorte d’autobiographie intellectuelle et culturelle de l’auteur peut être lue comme un catalogue avec de très nombreuses références qui peuvent en rebuter plus d’un. Mais personne ne peut rester indifférent face à tant de culture, à un esprit brillant, infiniment gai et empli d’ironie ! Même si la fin du livre est troublante.
Publik’Art conseille vraiment cette lecture quel que soit votre niveau de culture historique ! De toute manière, chaque lecteur y puise ce qu’il veut et retiendra certains passages plus que d’autres. Mais vraiment ce serait dommage de ne pas « entendre » ce dernier message de Jean d’Ormesson.
Quelques extraits :
Je parle de Ramsès II, de Moïse, d’Homère, de Platon et d’Aristote, d’Alexandre le Grand parce qu’ils tiennent une place considérable dans ce que vous êtes devenus. P.42
Cinq cents ans avant le Christ, à l’époque de la naissance de la géométrie et de la philosophie, l’histoire universelle, vous le savez déjà, connaît un bouleversement, une sorte d’élan et de nœud : Socrate en Grèce, le Bouddha en Inde, Confucius en Chine. P. 46
L’écriture : les cunéiformes de Sumer, les hiéroglyphes égyptiens, les hiératiques, l’invention du zéro par un Indien de génie, Aryabhata, qui le transmettra aux Arabes qui le transmettront à l’occident. P.100
Pascal, c’est Montaigne revu à la lumière des Béatitudes. P.147
A la tête des salons règnent des maîtresses de maison qui sont souvent aussi les maîtresses des philosophes et des écrivains qu’elles reçoivent et nourrissent. Avec des femmes d’exception, le XVIIe est un siècle d’hommes. Avec les hommes remarquables, le XVIIIe est n siècle de femmes. P.172
Achille, dans l’Iliade, était le modèle d’Alexandre le Grand. Alexandre le Grand était le modèle de César. Alexandre et César sont, à leur tour, les modèles de Napoléon Bonaparte. Il est leur héritier. P.205
Rien ne m’occupe autant que l’amour – si ce n’est la mort. Tout tourne et s’agite et invente et se transforme. Ce qui change le moins dans un monde qui ne cesse de changer, c’est l’amour et la mort. Eros et Thanatos. Comme une ombre d’éternité. P.219
Deux hommes, à trois cents ans de distance, auront révolutionné votre savoir, rabaissé l’orgueil des hommes, changé ce que vous appelez mon cours : Nicolas Copernic et Charles Darwin. P.247
Vivant de cueillette et de chasse dans une nature encore vierge, il parvient, après des millénaires de marche, sur les bords du Nil où se développent l’agriculture et l’écriture. Tour à tour africain, sumérien, troyen, ami d’Achille et d’Ulysse, citoyen romain, juif errant, il salue l’invention de l’imprimerie, la découverte du Nouveau Monde, la Révolution de 1789, les progrès de la science. Marin, servante dans une taverne sur la montagne Sainte-Geneviève, valet d’un grand peintre ou d’un astronome, maîtresse d’un empereur, il est chez lui à Jérusalem, à Byzance, à Venise, à New York.
Cette vaste entreprise d’exploration et d’admiration finit par dessiner en creux, avec ironie et gaieté, une sorte d’autobiographie intellectuelle de l’auteur.