Plongée douce amère sur le monde d’hier et d’aujourd’hui dans L’usine de rien
Quand une usine produisant des ascenseurs dans la banlieue de Lisbonne se rapproche du dépôt de bilan, ses dirigeants décident de la vider en pleine nuit, avant que les ouvriers ne s’en rendent compte et bloquent in extremis la manoeuvre. S’en suit une guerre d’usure des ouvriers avec la direction pour sauvegarder leurs emplois et leur vie, tout simplement. L’usine de rien reprend le fil d’une histoire véridique, celle d’ouvriers ayant mené une expérience grandeur nature d’autogestion pendant 20 ans au Portugal pour sauvegarder leurs emplois et pérenniser une activité industrielle fuyant inexorablement les pays d’Europe pour se relocaliser plus à l’est, là où les coûts de main d’oeuvre sont sensiblement moins chers. Le film est un brulot doux amer sur les difficultés engendrées par un capitalisme qui privilégie les capitaux aux individus, pour un constat social alarmant et une paupérisation galopante.
Une histoire véridique
Quand le groupe américain OTIS a décidé de fermer son usine au Portugal à l’époque de la révolution des Oeillets en plein coeur des années 70, les ouvriers ont racheté l’usine 1 dollar symbolique pour continuer l’activité en totale autogestion. Le réalisateur Pedro Pinho a découvert cette histoire véridique tandis qu’il cherchait une usine pour tourner son film. Profitant de cette aubaine quasi magique, il a intégré des ouvriers au casting pour raconter une histoire de résilience et d’espoir. Pendant presque 3 heures, le spectateur suit l’histoire simple de ces individus en marge de la machine capitaliste, menus fretins laissés pour compte qui décident finalement de ne pas se laisser abattre par un sort contraire. Le film suit un déroulé tortueux, les ouvriers ne sachant au début pas bien comment réagir pour garantir la perpétuation de l’activité. Débats et disputes se succèdent sous l’oeil hagard d’un documentariste argentin décidé à immortaliser cette aventure humaine. La plupart des protagonistes de L’Usine de rien sont des purs amateurs, souvent eux- mêmes ouvriers, avec tout de même quelques comédiens professionnels pour les parties plus romancées. L’effet produit est d’un réalisme totale, à la lisière du documentaire.
Un film sur une vérité tragique
Le coeur du film n’est pas une usine qui ferme mais toutes ces réflexions sur ce qu’est devenu le fonctionnement capitaliste à notre époque. La notion de crise ne serait qu’un prétexte pour reporter sur l’état le cout des salaires via des indemnités chômages tandis que les grands groupes profitent de couts moindres dans des pays en voie de développement. Le sacrifice d’une partie toujours plus importante de la population sur l’autel du profit est au centre de la réflexion d’un film qui se laisse le temps de montrer les différentes facettes de la réalité. L’Usine de rien est une aventure humaine drôle et émouvante à la fois, composée de parties musicales héritées d’un projet précédent et surtout d’une détermination qui pourrait s’étendre à tout l’environnement économique. En cela, le film est important car le choix d’un réalisme à outrance créée une proximité avec des personnages qui vivent sur le même continent que nous. L’importance de la valeur travail et le respect de la dignité de ses gens devient une cause centrale dans un film monté comme un documentaire mais pourtant totalement fictif. S’il se base sur des éléments de vérité, il déroule une réflexion importante dans un contexte actuel où de plus en plus d’individus se sentent désorientés.
L’usine de rien rejoint la cohorte des films revendicatifs pour une vision lucide de la réalité et des risques pesant sur une partie significative de la population. Film important, en plus d’être très bien réalisé et souvent très pertinent, il mérite plus qu’un coup d’oeil pour regarder la réalité en face et y réfléchir sérieusement.
Une nuit, des travailleurs surprennent la direction en train de vider leur usine de ses machines. Ils comprennent qu’elle est en cours de démantèlement et qu’ils vont bientôt être licenciés. Pour empêcher la délocalisation de la production, ils décident d’occuper les lieux. À leur grande surprise, la direction se volatilise laissant au collectif toute la place pour imaginer de nouvelles façons de travailler dans un système où la crise est devenue le modèle de gouvernement dominant.
Sortie : le 20 décembre 2017
Durée : 2h57
Réalisateur : Pedro Pinho
Avec : José Smith Vargas, Carla Galvão, Njamy Uolo Sebastião
Genre : Comédie dramatique, Comédie musicale