Reprise en fanfare du Trahisons d’Harold Pinter au Lucernaire
Depuis la fin janvier, les spectateurs peuvent venir admirer à nouveau l’adaptation de Trahisons déjà jouée durant l’été 2017 au Lucernaire. Le même excellent trio de comédiens interprète ces notables des années 70 bousculés dans une confusion de sentiments. Robert, Jemmy et Emma ressortent leurs chemises col pelle à tarte, pantalons pattes d’eph et robes chamarrées pour un jeu de dupes présenté dans un ordre chronologique inversé donnant au public l’avantage sur les personnages de savoir comment tout va se finir sans savoir comment tout a commencé. La petite langue d’Harold Pinter captive toujours autant avec une sarabande de dialogues tout en expressions alternativement outrées ou au contraire dissimulées sous la patine de personnages tellement ambivalents qu’ils en deviennent fascinants.
Un jeu de dupes en clair obscur
Trahisons débute en 1977 pour se clôturer en 1968 avec trois personnages officiellement intimes. Robert (François Feroleto) et Jemmy (Yannick Laurent) sont éditeurs et amis depuis toujours. Le rythme de leur vie sociale s’échafaude autour de parties de squash et de déjeuners fortement arrosés où les discussions portent sur les auteurs et les ouvrages à succès repérés par chacun. Plus le temps recule, plus leurs échanges sont empreints d’une rancune qui s’efface, leurs relations de la fin des années 70 sont plus distendues mais plus apaisées que celles du début des années 70. Le temps fait son ouvrage et l’objet caché de leurs griefs fait maintenant partie des meubles. Car l’épouse de Robert et maitresse de Jemmy, cette Emma (Gaëlle Billaud-Danno) toute en sensualité, a traversé les interdits et sa passion avec l’ami de son ami s’est émoussée. L’intrigue à rebours fascine par le jeu ouvertement excessif des deux interprètes masculins. Tout à tour disert ou plus rentré, les deux amis se livrent à un mano à mano feutré mais éloquent. Harold Pinter décrit en filigrane l’hypocrisie sociale d’une époque où le poids des conventions permet encore de cacher sous le tapis les écarts et les trahisons. Car si les années 70 voient la multiplication des divorces, il n’en est encore que peu question dans les faits, il y aurait fort à parier que la question se serait posée autrement dans une pièce située à notre époque. Les trahisons sont ici des secrets de polichinelles ressemblant à des bagatelles dont les blessures s’amusent avec le temps.
Un décor aussi mouvant que les sentiments
La pièce montée au Lucernaire impose des décors sans cesse renouvelés au fur et à mesure des scènes. Un quidam aux gestes élégamment compassés déboule à la fin de chaque échange pour remuer ou enlever les meubles et transformer le plateau en un nouvel intérieur, figurant la valse des sentiments intérieurs soigneusement renfermés. Le public rit souvent à sa gestuelle soigneusement chorégraphiée pour transformer une étagère en lit ou changer la disposition des chaises. Tout en faisant évoluer un calendrier en sens chronologique inverse, cet homologue clandestin du temps qui remonte ajoute une touche de comédie à un propos plus sérieux que bouffon. Car le triangle amoureux semble se noyer dans les mensonges et les faux semblants, jusqu’à cesser de vivre leur vie pour transformer leur vie réelle en une scène de théâtre mise en abime sur la scène du Lucernaire. Et tout l’art d’Harold Pinter pour les dialogues à double sens prend ici toute son ampleur avec des comédiens qui font étalage d’expressions diverses au fur et à mesure. Légèreté et sévérité se mélangent sans discontinuer pour une impression étrange sur le public. Quand le jeu social prend le pas sur l’authenticité et la sincérité des sentiments, qui peut-on croire et comment peut-on vivre sa vie?
Trahisons laisse un sentiment assez puissant sur l’audience. Les 3 comédiens font honneur à l’esprit de l’auteur avec un jeu séduisant d’ombres et de lumières qui fascine. Une pièce à découvrir absolument au Lucernaire jusqu’au 18 mars!
Dates : du 24 janvier au 18 mars, du mardi au samedi à 19h, dimanche à 16h
Lieu : Le Lucernaire (Paris)
Metteur en scène : Christophe Gand
Avec : Gaëlle Billaud-Danno, François Feroleto, Yannick Laurent, Lionel Pascal