Sword Art Online : reflet fantasy d’une génération ?
Oeuvre transmédia incontournable dans le paysage pop-culturel depuis ces dernières années, Sword Art Online cristallise à lui seul l’essence même du genre littéraire du light novel et s’en est fait le porte-drapeau au-delà des frontières nippones. Alors que la saison 3 de l’anime est fébrilement attendue, qu’un film intitulé Ordinal Scale est prévu pour 2017 que son éditeur français Ofelbe a annoncé l’arrivée du premier tome de l’arc “Alicization” également pour le début de la même année, il est temps de revenir sur le succès de la franchise… dont les clés de la réussite ne sont pas si évidentes qu’elles n’en ont l’air.
S’il y avait un seul et unique light novel dont il faudrait recommander la lecture, tous publics confondus, ce serait celui-ci. Pour de bien multiples raisons qui vont au-delà de sa popularité flagrante. C’est le light novel de tous les records mais aussi de tous les paradoxes : lancé en 2009 par son éditeur japonais Kadokawa, Sword Art Online a réussi le pari d’inonder littéralement le marché littéraire et audiovisuel international. Décliné en anime, manga, jeux vidéos, film, goodies, il s’agit d’un succès qui ne doit rien au hasard tant celui-ci a été étudié et orchestré par son éditeur et tant le fond même du light novel était novateur lors de sa parution. Il surfait – et surfe toujours mais d’une façon nettement moindre – sur la popularité que connaît les jeux massivement multijoueurs en ligne, les MMORPG, aussi bien auprès d’un public jeune que plus âgé.
Un light novel ne s’aventure pas sur les voies de la transmédialité par hasard : les ventes doivent être au rendez-vous, et l’anime lancé ne peut connaître de suite si ces dernières ne sont toujours pas au rendez-vous par la suite.
Chronique d’une déception…
Succès paradoxal également car il suffit de jeter un oeil à la blogosphère occidentale, de lire quelques critiques ça et là pour comprendre que Sword Art Online a fait l’objet de nombreuses déceptions. Des pistes non explorées, un univers envoûtant mais pas assez exploité, des personnages secondaires lisses et parfois sans saveurs, des “japoniaiseries” qui n’ont pas plu auprès de l’audimat, des projections fantasmées de l’auteur bien évidentes et parfois farfelues, des facilités scénaristiques usées jusqu’à la moelle, un monde bien trop civilisé alors que le synopsis de base s’annonce cauchemardesque… Sword Art Online semble avoir fauté sur bien des tableaux, sans que jamais son succès ne soit réellement décrié.
Sur le papier, le pitch de base est pourtant audacieux et prometteur : dans un futur proche, en 2022, il est dorénavant possible, grâce au NerveGear, un casque de réalité virtuelle qui stimule les cinq sens, de se connecter et de s’immerger littéralement dans les MMORPG, en contrôlant son avatar virtuel avec son esprit : ce sont les VRRMORPG.
On suit tout particulièrement les aventures de Kirito, Kazuto Kirigaya de son vrai nom, qui fait parti des beta-testeurs du nouveau VRROMRPG Sword Art Online. Celui-ci prend place dans l’immense donjon volant Aincrad… Jusque-là, le rêve idyllique de tout joueur de MMORPG se dessine au fur et à mesure des premières pages du light novel. Mais le tout prend une dimension cauchemardesque lorsque les 10 000 joueurs se retrouvent piégés dans l’Aincrad par le créateur du jeu : nul ne peut en sortir tant que le jeu n’est pas terminé et toute mort virtuelle équivaut à sa mort dans le monde réel…
Un tel synopsis ne pouvait laisser présager autant de déceptions tant il offrait un champ de possibilités littéraires et scénaristiques importants. Pourtant, Sword Art Online a beaucoup déçu, restant dans une sorte de bulle civilisée où “chacun est beau et gentil”, à l’exception des “méchants” qui n’ont rien pour attirer l’empathie et qui restent cantonnés dans leur vilénie sans nuances.
Mais alors, pourquoi lire (et regarder) Sword Art Online si tant de défauts jalonnent la saga ?
Il est tout d’abord nécessaire de tempérer les critiques et de ne pas se focaliser seulement sur le négatif, les détracteurs de la franchise s’étant déjà suffisamment épanché sur la question. Sword Art Online a de nombreuses ressources et qualités à offrir autre que ses défauts souvent pardonnables (qui répondent notamment à certaines valeurs de bienséance issues de la culture japonaise et à la volonté de ne pas choquer le jeune public). Ses principaux intérêts qui font sa force auprès du public sont incontestablement le couple assez mature de Kirito et Asuna et les différents VRROMRPG mis à l’honneur dans les différents arcs de la saga.
Et bien au-delà de son ton épique, de ses univers mirifiques aux cultures différentes et de ses aventures corsées, la saga littéraire a pour mérite de mettre en exergue, à travers les différents arcs narratifs et la palette de personnages secondaires, un sentiment partagé par de nombreux adolescents et jeunes adultes auquel il est aisé de s’identifier : le confort ressenti lorsque l’on se retrouve plongé dans les mondes virtuels.
Ces mondes virtuels qui sont bien plus faciles à s’approprier que le monde réel, toujours en pleine mutation, plein de paradoxes, violent et dans lequel il est bien plus difficile de trouver sa place. La violence rencontrée dans ces MMORPG est plus facile à appréhender puisque contrôlable et attendue par ces jeunes (à l’exception du premier arc Aincrad qui n’hésite pas à appuyer sur les mauvais aspects quant à l’immersion totale dans un jeu virtuel)…
En somme, la raison d’être de Sword Art Online surfe tout entier sur ce décalage entre monde réel et monde virtuel, dans lequel les jeunes qui s’y aventurent semblent y être bien plus à l’aise et parviennent surtout à devenir adultes. Un joli paradoxe qu’il est nécessaire de souligner et de saluer et que l’auteur Reki Kawahara met un point d’honneur à retranscrire.
Comme l’on se plonge dans la lecture d’un livre pour échapper à la réalité, apprendre, rêver et grandir, les personnages de Sword Art Online voguent de monde en monde pour les mêmes raisons. Kirito, solitaire dans la vraie vie et quelque peu passif face à son existence, se retrouve tout d’un coup, dans les différents arcs narratifs de la franchise, maître de sa vie et dévoile toutes ses qualités.
On découvre un personnage solitaire mais solidaire, toujours prêt à aider son prochain et ne faisant jamais passer son bonheur avant le sien. D’autres personnages qui l’accompagnent ont aussi l’occasion de se dévoiler dans les mondes virtuels : par exemple Lisbeth se découvre une passion pour la forgerie, Yuki dévoilera toute sa force physique et mentale face à la vie par le biais du jeu, Asuna prend confiance en elle-même et n’hésitera pas à appliquer au fur et à mesure l’aisance qu’elle ressent dans les mondes virtuels dans le monde réel, ce qui lui permet de réellement avancer et se construire comme une adulte responsable…
Ainsi, les VRROMRPG sont des prétextes pour les personnages afin de se découvrir, de s’assumer et de se transcender une fois de retour dans la “vraie vie” : la vie en communauté dans les jeux virtuels leur permet de mieux appréhender le monde réel. Ces sentiments ressentis par les personnages de Sword Art Online font alors écho à son lectorat, d’autant plus que sous la plume de Reki Kawahara, il est amené à voyager à travers les différents univers et à ressentir les émotions vécues par la farandole des personnages de la franchise.
Somme toute : une très belle saga à recommander, autant pour voyager et faire travailler son imaginaire que pour les valeurs positives sur l’amitié et sur la confiance en soi qu’elle véhicule. Un beau light novel très shônen en passe de devenir culte pour une génération, afin de rêver, s’évader et grandir…
En France, Sword Art Online est disponible aux éditions Ofelbe en double-tome au prix de 19,90 €. 4 tomes ont été publiés à ce jour.
Date de parution : 2015
Auteur : Reki KAWAHARA Editeur : Ofelbe
Prix : 19,90 € (512 pages)
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