Téhéran Tabou osculte la schizophrénie de la société iranienne
Le premier film d’Ali Soozandeh est avant tout une prouesse technique et visuelle. Le procédé de rotoscopie place des personnages réels pixelisés devant des décors animés au réalisme maximal qui remplacent un tournage impossible avec des prises réelles en Iran. 3 personnages féminins et un musicien se débattent avec une société pétrie de prohibitions juridiques et de restrictions morales qui forcent les iraniens à autant de prudence que d’inventivité pour continuer à vivre le plus normalement possible. Le ton dramatique empreint le film d’une puissance peu commune avec ses personnages ni bons ni mauvais mais surtout obligés de s’adapter à un contexte anxiogène.
Une histoire d’aujourd’hui
Téhéran Tabou prend le parti d’un réalisme exacerbé pour montrer l’Iran d’aujourd’hui avec un regard quasi clinique. Ce sont des quidams qui animent l’histoire avec leurs rêves et leurs craintes. Le propos n’est pas à la libération d’un pays sous la coupe des mollahs, le réalisateur n’évoque ni la récente révolution verte ni les menaces américaines de sanction face au programme nucléaire approuvé sous conditions par le président précédent. Le quotidien lambda est décrypté sous un angle beaucoup plus intime avec des personnages qui se croisent au coeur de la capitale iranienne et interagissent avec plus ou moins de bonheur. Le film montre la ligne officielle au pays et ce qu’il se déroule réellement derrière les portes des maisons. Officiellement, une législation stricte régit les rapports hommes femmes avec une obligation d’accord masculin pour toute décision féminine. Sauf que le film montre bien que les petits arrangements sont légion voire monnaie courante. La capacité d’adaptation des iraniens et iraniennes en devient surprenante et surtout hautement dangereuse. Car la sanction peut être immédiate comme le montre bien les images de condamnés à mort exhibés à la foule au bout d’une corde.
L’amour et la violence
Téhéran Tabou fait un focus sans détour sur la sexualité d’une population animée des mêmes sentiments que partout ailleurs dans le monde. La relation furtive, le couple heureux en façade, le recours à la prostitution, le film aborde des sujets variés en révélant la très grade normalité d’iraniens et iraniennes qui contournent les interdits malgré les risques encourus. Et comme le procédé de rotoscopie permet des expressions et réactions très réalistes des personnages, l’empathie du spectateur est immédiate. Jusqu’à oublier que ce sont des acteurs réels qui ont été filmés devant un fond vert, les décors étant ajoutés dans un second temps. Le réalisateur évite tout manichéisme en montrant que chacun des personnages agit en fonction d’un contexte qui lui est propre. Les intrigues se mêlent pour finalement déboucher sur une impasse finale qui fait réfléchir. La compromission et l’ambivalence semblent les meilleurs moyens d’arriver à ses fins, avec parfois des conséquences tragiques.
Téhéran Tabou est une réussite esthétique, technique et scénaristique. Le film fascine par son regard objectif sur une société mal connue par chez nous mais finalement loin d’être différente de la notre. Les notions de séparation, d’absence de perspectives et d’amour sont partagées partout dans le monde, en Iran comme ailleurs.
Téhéran : une société schizophrène dans laquelle le sexe, la corruption, la prostitution et la drogue coexistent avec les interdits religieux. Dans cette métropole grouillante, trois femmes de caractère et un jeune musicien tentent de s’émanciper en brisant les tabous.
Sortie : le 4 octobre 2017
Durée : 1h36
Réalisateur : Ali Soozandeh
Avec : Elmira Rafizadeh, Zahra Amir Ebrahimi, Arash Marandi
Genre : Animation, Drame