Une adaptation impressionnante du Oncle Vania de Tchekhov au Théâtre Essaïon
Le chef d’oeuvre d’Anton Tchekhov consume littéralement la scène du Théâtre Essaïon 1h25 durant. Les 9 personnages originaux de la pièce Oncle Vania sont réduits à 5 protagonistes incarnés par des comédiens habités et émouvants dans une intrigue qui fascine un public conquis. Le coup de coeur du Club de la Presse Avignon OFF 2016 subjugue par le dynamisme de la mise en scène de Philippe Nicaud et une dramaturgie qui monte crescendo jusqu’à la déflagration finale. Un plaisir de théâtre total à découvrir rapidement!
Des sentiments d’abord enfouis…
La pièce débute par une beuverie que l’on croirait typique dans la Russie rurale de la fin du XIXe siècle. Le Dr Astrov (Philippe Nicaud) et Ivan Petrovitch (le fameux Oncle Vania interprété par Fabrice Merlo) placent d’emblée la pièce sous le double signe de la comédie et du drame. Faussement ironiques face au dénuement de leurs existences, ils masquent à peine une amère lucidité et leurs saillies drolatiques préfigurent les drames à venir. Car tous cachent des récriminations qui mettront le temps nécessaire pour se faire jour. Le domaine géré par l’Oncle Vania sert de cadre à un huit clos où désirs et griefs se mélangent dans une sarabande cruelle. Face à eux, trois autres personnages promènent un spleen teinté de mélancolie. Le vieux professeur fatigué et hypocondriaque (Bernard Starck) balance entre arrogance et mauvaise foi tandis que sa jeune épouse Elena (Céline Spang) fait l’objet de toutes les sollicitations. Au milieu d’eux évolue Sonia (Marie Hasse), nièce dévouée et renfermée mais non point indifférente.
… mais qui vont tout emporter
Tcheckhov sait si bien brouiller les cartes pour faire finalement surgir les passions enfouies. Les politesses initiales laissent rapidement place à des insatisfactions qui ne demandent qu’à s’exprimer. A ce titre, la densité ordonnée du décor porte en elle les germes des troubles à venir. Comédiens et comédiennes se meuvent avec aisance dans un espace réduit que le dynamisme des va-et-vient fait très vite oublier grâce à l’habile mise en scène de Philippe Nicaud. Car les fils discrets qui relient les personnages apparaissent vite au grand jour, l’alcool et le désoeuvrement aidant. L’air chaud de la campagne agite les esprits et délie les langues. La belle Elena et le Dr Astrov sont l’objet de surprenantes sollicitations tandis que Sonia et Oncle Vania n’en peuvent plus de garder en eux leurs frustrations enfouies. Marie Hasse et Fabrice Merlo émeuvent par la dignité douloureuse dont ils imprègnent leurs personnages. Comme toujours chez Tchekhov, la pièce se finit dans des révélations fracassantes qui rebattent les cartes. Plus rien ne sera comme avant et il est alors temps de se quitter.
Oncle Vania tient en haleine tout du long grâce à l’habileté éblouissante de ses comédiens augmentée d’artifices musicaux et visuels qui touchent au coeur. La pièce se clôture dans un tonnerre d’applaudissements d’une salle éblouie par un moment de théâtre poignant de justesse et de sincérité. Une petite salle et le peu de moyens n’empêchent pas l’inventivité et la puissance quand le coeur y est, dont acte.
Dates : du 19 janvier au 19 mars 2017, les jeudi à 19h30 et dimanche à 18h
Lieu : Théâtre Essaïon (Paris)
Metteur en scène : Philippe Nicaud
Avec : Céline Spang, Philippe Nicaud, Bernard Starck, Marie Hasse, Fabrice Merlo