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Dans les pas de Pasolini, une troupe intrépide à l’Odéon

Dans les pas de Pasolini, une troupe intrépide à l’Odéon
« Pétrole » – Pauline Bélier © Jean-Louis Fernandez

Dans les pas de Pasolini, une troupe intrépide à l’odéon

Il fallait oser s’attaquer à « Pétrole », le roman-magma inachevé, la dernière colère de Pasolini. Sylvain Creuzevault, lui, n’ose pas : il exhume. Il déterre le livre comme un cadavre encombrant, le déplie sur le plateau et montre tout ce que la société préfère refouler : la saleté du pouvoir, la lubricité des dominants, la violence diffuse qui irrigue nos démocraties dégénérées.

L’ambition est totale. Le dispositif aussi. Le geste brûlant.

Creuzevault ne cherche jamais la facilité — il s’intéresse à l’impact. Le spectacle explose en blocs disjoints, en scènes abrasives, en interludes vidéo qui s’apparentent plus à des électrochocs qu’à des respirations. C’est assumé : « Pétrole » est une matière éclatée pour une mise en scène organique.

Par moments, cela frôle le survoltage. Parfois, on décroche. Mais toujours, on reste alerté : ce théâtre n’a pas l’intention de vous prendre par la main. Ce refus du confort est politique.

Creuzevault n’adapte pas une œuvre sur le pouvoir : il fabrique un dispositif de pouvoir. Il assigne, il impose, il écrase. On sent l’intention : faire ressentir au spectateur ce que Pasolini dénonçait — l’opacité, la manipulation, l’intimidation systémique.

Une pensée en ébullition 

Là où la mise en scène cogne le plus juste, c’est dans le travail sur les corps : des corps sans glamour, des corps qui parlent, des corps sexuellement exposés, sans folklore, sans voyeurisme, mais sans faux-semblant non plus. Ici, quand le désir surgit, il blesse. Quand la violence se montre, elle montre aussi ses racines.

Pasolini aurait reconnu l’effort : ne pas détourner le regard, jamais. L’ensemble du plateau fonctionne comme une arène politique où l’intime devient immédiatement structurel. Rien n’est gratuit. Rien n’est rassurant. Sous le vacarme, il y a une pensée en ébullition. Elle n’est pas déroulée, elle n’est pas expliquée, elle est réinjectée par impulsions.

La traversée convoque les années de plomb, la stratégie de la tension, l’industrie pétrolière, les duplications identitaires du personnage principal — non pour reconstituer, mais pour fracturer. Sa question, au fond, est limpide : quand le pouvoir se désagrège, que reste-t-il ? Des corps et des mythologies.

On pourrait reprocher au spectacle de ne pas donner de clés. Mais pourquoi faudrait-il donner des clés ? Le théâtre n’est pas une salle de classe. Le théâtre est un choc. Ici, il est frontal, abyssal.

Les acteurs, tous remarquables, ne jouent pas « Pétrole » ; ils l’encaissent, ils le propagent, ils le servent comme on un électro choc. On sent la troupe soudée dans une forme de fanatisme artistique — au sens noble : celui qui accepte de traverser le risque. Ils se jettent dans la fragmentation du texte comme dans une mêlée, en assumant la laideur, la nudité morale, l’exposition presque clinique de leurs corps.

Aucun ne cherche à briller individuellement : ils brillent parce qu’ils s’annulent, parce qu’ils font bloc, parce qu’ils portent ensemble une partition qui pourrait tuer un interprète isolé. Leur endurance est stupéfiante, leur précision redoutable, leur abandon total. On sort persuadé d’avoir vu non pas un ensemble, mais une seule bête à huit têtes, un organisme collectif dont chaque membre accepte de brûler pour que l’incendie prenne.

Oui, « Pétrole » est dense. Oui, certains tunnels dramaturgiques auraient mérité un montage encore plus cruel. Mais retirer l’excès à « Pétrole », ce serait l’évider, l’amputer de sa vérité. Le roman est un monstre inachevé. Cette mise en scène en préserve la monstruosité. Quand Creuzevault renonce à simplifier, ce n’est pas par paresse : c’est par fidélité radicale.

« Pétrole » est un spectacle qui refuse la flatterie. Pasolinien forcément. Il dérange, il déborde, il percute, mais il le fait pour une raison : rappeler que Pasolini écrivait avec la conviction que le réel était devenu obscène, et que seule une obscénité plus lucide pouvait le dévoiler. Creuzevault a compris cela. Et il l’applique sans ménagement. Un spectacle nécessaire et intellectuellement vivant — donc politiquement indispensable.

 Dates : du 25 novembre au 21 décembre 2025 – Lieu : Théâtre de l’Odéon (Paris)
Adaptation et Mise en scène : Sylvain Creuzevault

NOS NOTES ...
Originalité
Scénographie
Mise en scène
Jeu des acteurs
Si le droit mène à tout à condition d'en sortir, la quête du graal pour ce juriste de formation - membre de l'association professionnelle de la critique de théâtre de musique et de danse - passe naturellement par le théâtre mais pas que où d'un regard éclectique, le rédac chef rend compte de l'actualité culturelle.
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