© Stéphane Trapier
Théâtre du Rond-Point du 9 septembre au 11 octobre 2015
Lars Norén est un des dramaturges suédois les plus radicaux de la seconde moitié du XXè siècle. Considéré comme le digne successeur de Strindberg ou Bergman, il ne cesse de creuser au cœur des angoisses existentielles et relationnelles pour en décortiquer les ressorts psychologiques et pervertis. Il écrit Démons en 1984, un huis clos décapant sur le couple où le temps d’une soirée, une danse de mort s’exhorte entre les protagonistes dont la mise en scène cinématographique et aiguisée de Marcial Di Fonzo Bo traque sans relâche la spirale démoniaque.
Un théâtre coup de point où l’écho du renoncement se fait sans appel
Frank (Romain Duris) et Katarina (Marina Foïs) s’aiment mais ne peuvent plus se supporter. « Ou je te tue ou tu me tues, on se sépare ou on continue comme ça. Choisis ! » dit-elle. « Je ne peux pas choisir. Choisis, toi », répond Frank. Ils ne choisiront pas mais inviteront pour la soirée leurs voisins, un jeune couple moins installé qu’eux financièrement et qui vient d’avoir un enfant, pour les contaminer de leur emprise vénéneuse et transgressive.
La mère de Frank vient de mourir et un recueillement se prépare pour le lendemain, une mort qui hante les lieux car les cendres contenues dans un sac plastique ont été ramenées à l’appartement par son fils.
Jenna (Anaïs Demoustier) et Tomas (Gaspard Ulliel) sont alors les spectateurs, les complices, les victimes pétrifiées ou consentantes, d’un règlement de comptes sans fin, sans espoir, toujours plus incohérent et à l’humour toujours plus noir à mesure que l’alcool imprègne les esprits et que s’affolent les jeux cruels de la provocation et de la séduction, les amenant progressivement à se déchirer eux aussi et à faire exploser leur apparente tranquillité et complicité.
Romain Duris est cet astre noir, inquiétant, à l’attraction/répulsion où s’aimante, résiste, s’abîme une Marina Foïs sexy et intrépide. Face à eux, Gaspard Ulliel, en taiseux absent traine son indolence avant de devenir vindicatif saisis par ses démons tardifs tandis qu’Anaïs Demoustier campe une âme innocente mais insatisfaite.
L’écriture féroce et incisive de Lars Norén dévoile autant qu’elle ne dissimule. Elle cristallise par delà la crise conjugale les rapports de force entre dominants et dominés avec la place de l’individu au sein du couple, du groupe : son éducation, sa liberté, son libre arbitre ? son dévoiement entre quotidienneté, mensonge, désirs bafoués, frustration et solitude.
Telle une course poursuite, le texte va crescendo et se charge de la perversité et de l’ambiguïté sous jacente de chacun des personnages qui devient à la fois victime et bourreau.
Pièce très noire donc mais non sans humour où par-delà toutes les transgressions, une vérité humaine se fait jour.
Le dispositif scénique avec son intérieur design sophistiqué, installé sur un plateau qui tourne, s’accorde aux joutes intempestives et auto-destructrices des amants diaboliques ainsi qu’à leurs souffre-douleurs dont les déplacements obéissent à une circulation chorégraphique.
Il se fait le catalyseur, sous différents angles, des humeurs, des peurs, des frustrations, des paroles, des silences, des convenances édictées, bafouées, du jeu de soumissions et de dominations des personnages.
Dans un manège aussi fluide que sensoriel, le jeu s’imprègne efficacement de la progression dramatique et déconstruite de la langue du dramaturge servi par quatre comédiens investis et habités.
Romain Duris est cet astre noir, inquiétant, à l’attraction/répulsion où s’aimante, résiste, s’abîme une Marina Foïs sexy et intrépide. Face à eux, Gaspard Ulliel, en taiseux absent traine son indolence avant de devenir vindicatif saisi par ses démons tardifs tandis qu’Anaïs Demoustier campe une âme innocente mais insatisfaite.
Un théâtre coup de point où l’écho du renoncement se fait sans appel…