Emmanuelle Devos, savoureuse, en midinette paumée et névrosée dans la pièce de Yasmina Reza
Yasmina Reza met elle-même en scène « Bella figura », pièce qu’elle avait initialement écrite pour les comédiens de la Schaubühne de Berlin dirigés par Thomas Ostermeier. On retrouve dans cette tragicomédie la singularité de son théâtre avec des personnages isolés du monde et qui, aux prises avec les faux-semblants et les non-dits, sont en situation de crise prêts à exploser.
Ils se retrouvent donc tous au cœur d’un drame existentiel, propice à ouvrir les hostilités sous forme de règlement de comptes et de lâcher prise.
La dramaturge détourne les codes du vaudeville pour faire advenir derrière le vernis qui se craquelle, les fêlures intimes, les petites et grandes lâchetés des personnages confrontés à l’angoisse de la solitude, l’incertitude du bonheur, la faillite du couple et la tragédie de la vieillesse.
Des personnages en roue libre
Dans une voiture jaune rutilante, sur le parking d’un restaurant recommandé par sa propre femme, un chef d’entreprise, Boris (Louis-Do de Lencquesaig) et sa maîtresse Andrea (Emmanuelle Devos) une femme instable et névrosée qui joue les midinettes, se disputent à propos du choix de cet établissement.
C’est alors qu’en voulant reculer avec son véhicule, Boris renverse une vieille dame, Yvonne (Josiane Stoléru) venue fêter son anniversaire avec son fils, Eric (Micha lescot) et sa belle-fille, Françoise (Camille Japy). Si la vieille dame se relève sans aucun mal, il s’avère que Françoise est la meilleure amie de la femme de Boris. La comédie va pouvoir virer au drame.
Yasmina Reza n’a pas son pareil pour distiller les situations incongrues qui font tomber les masques, exploser les certitudes et exacerber les manques.
Des personnages perdus, fragiles, désinvoltes se débattent avec leur conditionnement social et ses travers, poussés dans leurs derniers retranchements en se confrontant à une fuite en avant décapante, à leur égocentrisme, leurs blessures mais aussi leur rébellion sous-jacente et sans filtre qui les rendent attachants.
Avec son écriture proche du réel et en même temps très stylisée, l’auteure metteuse en scène convoque la bonne distance entre un regard lucide mais aussi surréaliste où son humour grinçant fait le reste.
Le décor de Jacques Gabel avec son espace temps suspendu qui accapare toute la scène participe à la mise en abîme et au vide existentiel qu’il renvoie.
Une quintette au diapason
Les protagonistes imaginés par Yasmina Reza impliquent donc authenticité et second degré, facultés que possèdent haut la main les cinq comédiens réunis sur le plateau : Emmanuelle Devos excelle en héroïne cabossée à la sensibilité aussi insolente qu’exacerbée tandis que Louis-Do de Lencquesaig, son amant, témoigne d’une désinvolte à toute épreuve. Camille Japy et Micha Lescot sont parfaits face à la décrépitude de leurs certitudes. Quant à Josiane Stoléru, elle est hilarante dans un jeu aussi décomplexé que maîtrisé.
Instantané de la condition humaine, parfois tendre, parfois cruelle, souvent drôle, mais toujours juste où chacun se joue de soi et des autres.
Dates : du 7 novembre au 31 décembre 2017 l Lieu : Théâtre du Rond-Point (Paris)
Texte et mise en scène : Yasmina Reza