
Le Lucernaire invoque l’esprit de 2 des plus célèbres peintres du XIXe siècle pour un face à face tendu entre 2 génies marqués par le doute perpétuel. Alexandre Cattez (Un soir chez Renoir) et William Mesguich (mise en scène de Opérapiécé Opus 2) forment un duo mal assorti obligé de cohabiter dans le Sud de la France. La politesse initiale a tôt fait de laisser place aux fêlures d’abord mises sous l’entonnoir mais qui ne demandent qu’à ressortir pour faire s’opposer 2 esprits trop épris d’absolu pour accepter le compromis. Les performances des comédiens ne laissent aucune place au doute, Gauguin Van Gogh est un sommet de la saison théâtrale.
Duel au soleil
Van Gogh et Gauguin sont devenus aujourd’hui des véritables icônes de la peinture, il suffit pour s’en convaincre de voir les prix vertigineux atteints par leurs toiles (transaction avoisinant les 300 M$ pour Quand te maries-tu ? de Paul Gauguin lors de sa vente au Qatar en 2015, presque 150 M$ pour Portrait du Dr. Gachet de Vincent Van Gogh en 1990). Ce qui parait aujourd’hui indiscutable l’était beaucoup moins du vivant des 2 artistes. Exilé volontaire à Arles, le premier ne parvient pas à vendre ses toiles malgré sa très forte productivité et il lui faut le soutien financier de son frère Théo pour garder la tête hors de l’eau. Le second a subi les effets d’une crise financière le forçant à quitter son métier de courtier en Bourse, sa famille et le Danemark pour peindre à plein temps. Gauguin débarque chez Van Gogh et il se demande dès le départ si cette cohabitation est une bonne idée. L’enthousiasme exubérant de son hôte semble le convaincre de voir les choses du bon côté, mais le doute l’habite. Van Gogh se contente de peu, son habitat est rustre, son restaurant de prédilection est décevant, Gauguin garde le sens de la mesure, il ne se voile pas la face ce que Van Gogh parvient à faire assez aisément. La pièce de théâtre est longtemps emprunte d’une lutte silencieuse, pour le bien d’une cohabitation pourtant déséquilibrée par nature. La mise en scène de Cliff Paillé et Noémie Alzieu se concentre sur l’intérieur du logis de Vincent à Arles, des chevalets, une table, 2 lits, la dureté du quotidien semble ne pas toucher Vincent mais pèse sur les épaules de Paul. Les comédiens habitent littéralement leurs rôles, William Mesguich arbore une seyante chevelure rousse et un regard halluciné quand il contemple ses toiles. A contrario, Alexandre Cattez joue plus sur la retenue pour faire d’autant plus vibrer ses éclats de colère. Les 2 génies sont le feu et la glace, le tonnerre et la tempête, indissociables mais polarisés dans des contraires qui font des étincelles. Le duo subjugue littéralement l’audience, leurs compétences théâtrales sont mises à contribution avec succès, le drame est à l’horizon quand Vincent empoigne un couteau dans la scène finale après des éclats de voix qui font vibrer les murs du Lucernaire. L’auteur de l’ouvrage à la base de la pièce évoque les tensions familiales comme source des tourments futurs, avec un Van Gogh corseté par son père pasteur et un protestantisme castrateur, a contrario Gauguin a vu le monde depuis le Pérou de son enfance pour une ouverture d’esprit plus large et une liberté d’esprit plus affirmée. La pièce donne des pistes pour expliquer la natures si contraires des 2 artistes, non sans humour ni sans drame.
Gauguin Van Gogh est une pièce de théâtre d’une intensité saisissante, à le pas manquer au Lucernaire.
Synopsis: C’est l’histoire d’une cohabitation entre deux génies, qui ne s’est pas très bien terminée. L’événement final, l’oreille coupée de Van Gogh, tout le monde le connait. Mais comment en est-il arrivé à ce niveau de désespoir, à ce geste insensé ? Quelques semaines plus tôt, Gauguin rejoint Vincent à Arles. Ce dernier y vit depuis quelques mois, avec une certaine sérénité, la joie dans le pinceau. L’idée ? Fonder là, en Provence, une maison d’artiste. La pièce retrace ces neuf semaines incandescentes. En condensé, bien sûr, mais dans un vrai souci de fidélité aux nombreux éléments connus, car écrite sous la vigilance experte de David Haziot. Amitié, génie, fragilités… Venez vivre la colocation la plus fébrile de l’Histoire de l’art.
Détails:
Du 3 septembre au 16 novembre 2025, Théâtre Noir
Mercredi > samedi 18H30 | Dimanche 15H