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« Killer Joe » : le mal n’entre pas, il est déjà là

« Killer Joe » : le mal n’entre pas, il est déjà là
Killer Joe – Mise en scène Patrice Costa (© Patrick Fouque)

« Killer Joe » : le mal n’entre pas, il est déjà là

« Killer Joe », chez Patrice Costa, ne cherche pas à plaire. Il serre la gorge. Il rit jaune. Il pue la sueur morale et la violence domestique. Et c’est précisément là que le spectacle fait mouche, sans management aucun.

La pièce de Tracy Letts est déjà une grenade dégoupillée : une Amérique en lambeaux, des liens familiaux rongés par l’appât du gain, un tueur à gages qui agit comme révélateur chimique des pourritures ordinaires.

Patrice Costa choisit de ne pas désamorcer l’engin. Au contraire, il l’approche du visage du spectateur, très près, si près parfois, jusqu’à ce que le rire se transforme en rictus.

La mise en scène est sèche, presque cruelle dans sa frontalité. Pas d’esbroufe. Pas de poésie décorative pour adoucir l’horreur. Tout est là, brut, comme un fait divers qu’on lirait à voix haute autour d’une table trop petite.

Une morale sans garde fou

Le plateau devient une cuisine mentale : lieu banal, théâtre des monstruosités les plus intimes. Costa comprend que « Killer Joe » n’est pas une pièce sur la violence, mais sur la normalité de la violence. Et il la montre sans cligner des yeux.

Le personnage de Joe Cooper, pivot toxique de l’ensemble, n’est pas joué comme un démon flamboyant, mais comme un homme calmement certain de son pouvoir.

Pas de grands effets, pas de cabotinage : le mal ici parle doucement, sourit parfois, et c’est cela qui glace. Face à lui, la famille Smith se débat dans une misère qui n’est pas seulement économique, mais morale.

L’interprétation des acteurs est le nerf à vif du spectacle, et Patrice Costa a manifestement exigé d’eux une vérité sans filet. Aucun jeu de protection, aucun clin d’œil rassurant : les corps sont engagés, les voix souvent à découvert, parfois volontairement plates, comme si l’horreur devait surgir non du surjeu mais de l’évidence.

La famille Smith fonctionne comme un chœur disloqué, chacun enfermé dans sa petite lâcheté, son désir minable, son aveuglement obstiné, et c’est précisément cette absence de psychologie explicative qui rend leurs actes si dérangeants.

Quant à Joe Cooper (impeccable Benoît Solès), il est incarné avec une maîtrise glaçante : calme souverain, autorité presque abstraite, violence tenue en laisse jusqu’au moment où elle devient inévitable. Rien n’est appuyé, tout est sous tension

Les acteurs ne cherchent pas à séduire le public, ils l’embarquent de force dans un espace moral irrespirable. Et c’est dans cette rigueur, presque ascétique, que leur travail impressionne : ils ne jouent pas des monstres, ils jouent des gens — et c’est infiniment plus terrifiant.

Le rythme est maîtrisé, tendu comme un fil prêt à rompre. Les silences comptent autant que les éclats. Le rire du public — car on rit — arrive toujours avec une demi-seconde de retard, comme s’il fallait vérifier intérieurement si l’on avait le droit. C’est bon signe. Cela veut dire que le spectacle travaille. Qu’il dérange là où il faut.

On pourrait reprocher à cette mise en scène son absence de distance, son refus de l’élégance, son goût pour l’inconfort prolongé. Mais « Killer Joe » n’est pas une pièce aimable. Et Patrice Costa a l’intelligence de ne pas chercher à la rendre fréquentable. Il en assume la brutalité, la sécheresse, la noirceur presque obscène.

Et c’est là, dans cette lucidité sans fard, que réside la réussite la plus inquiétante — et la plus juste — de ce « Killer Joe ».

Date : depuis le 9 octobre 2025 – Lieu : Théâtre de l’Oeuvre (Paris)
Mise en scène : Patrice Costa

NOS NOTES ...
Originalité
Scénographie
Mise en scène
Jeu des acteurs
Si le droit mène à tout à condition d'en sortir, la quête du graal pour ce juriste de formation - membre de l'association professionnelle de la critique de théâtre de musique et de danse - passe naturellement par le théâtre mais pas que où d'un regard éclectique, le rédac chef rend compte de l'actualité culturelle.
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