Le retour du désert ou la traversée réussie d’Arnaud Meunier
Dans cette comédie qui mêle étroitement l’intime et la grande histoire, le grand poète de la scène que fût Bernard-Marie Koltès mêle ses thèmes de prédilection : la solitude, l’opprobre, le combat entre les sexes et entre les âges, la notion d’identité, la critique sociale. Une écriture fluide, musicale, parfois triviale mais jamais quotidienne, qui nous entraîne dans un jeu trouble où le comique et le tragique se rejoignent avec allégresse.
Et pour porter cette pièce avec laquelle Koltès disait vouloir faire rire et, en même temps, inquiéter quelque peu, la mise en scène limpide d’Arnaud Meunier parvient à faire corps avec le texte et sa résonnance polyphonique.
Un frère, une sœur se retrouvent après une séparation de quinze années, dans la maison de famille, quelque part en France, alors que la guerre d’Algérie connaît un paroxysme. Mathilde et Adrien reprennent, en se revoyant, l’implacable dispute qui les oppose depuis l’enfance. Autour d’eux, femmes, enfants, amis et serviteurs de là-bas leur servent de pions dans leur combat fratricide. Un combat qui finit par ressembler à une déclaration d’amour contrariée.
[…] un jeu trouble […]
Un affrontement qui n’est autre que la métaphore de la relation entre la France et l’Algérie. Où l’accueil d’Adrien à Mathilde, revenue réclamer son bien, sa terre, s’apparente à celui d’un colon.
© S. Barcet
Une plongée aussi au cœur de la province française des années 60 avec ses individus (des notables sûrs d’eux, fiers de leurs traditions) et leurs sociabilités de classe (entre-soi, petits arrangements entre amis, préparation nocturne d’attentats OAS).
La maison entourée de hauts murs se vit comme une enceinte pour mieux se barricader où chacun perçoit l’autre comme une menace, et où l’extérieur est un espace de dangers non-identifiés.
La crise identitaire taraude également les personnages avec des scènes mémorables comme celles d’Aziz qui, dans un grand monologue, se revendique un couillon, ou celle encore du parachutiste noir invoquant des frontières qui bougent tandis que Mathilde se demande où est sa patrie.
[…] les secrets enfouis d’une bourgeoisie déliquescente […]
Elle témoigne du prélude à la chute existentielle de la maison à laquelle nous assistons, fissurée par les non-dits, les secrets du passé, les lâchetés successives qui explosent et perturbent le quotidien des retrouvailles des deux branches de cette fratrie divisée par les événements historiques et sociologiques qui apparaissent en filagramme.
© S. Barcet
Il y a, dans Le Retour au désert, un fils qui rêve de partir, un autre qui veut s’envoler, une femme disparue étrangement et qui revient hanter la maison familiale, un parachutiste noir tombé du ciel qui enfantera mystérieusement, le tout colorant la pièce d’une dimension onirique et fantastique.
Avec un humour noir et dans une langue très rythmée, Le retour au désert lève le voile sur les secrets enfouis d’une bourgeoisie déliquescente et sur la mémoire interdite de notre histoire collective et coloniale, au moment où l’Europe affronte le retour des nationalismes et dont l’écho du dramaturge n’en est que plus salutaire.
Treize comédiens accompagne cette étrange histoire, emmenés par le duo de choc que forme Catherine Hiegel (Mathilde) et Didier Bezace (Adrien).
Comédienne dotée d’un vrai tempérament, aussi à l’aise dans un registre comique que tragique, Catherine Hiegel dans un jeu intense et rude se montre parfaite avec son personnage entier tandis que Didier Bezace campe un partenaire aussi truculent que pathétique.
Dates : du 20 au 31 janvier 2016 l Lieu : Théâtre de la Ville (Paris)
Metteur en scène : Arnaud Meunier