Le Lucernaire laisse le champ libre à l’auteur de La Peste et L’étranger avec une évocation enflammée de ses Carnets, sur base de morceaux adroitement choisis et reflétant bien l’exigence morale d’Albert Camus. Stéphane Olivié Bisson arpente la scène en tous sens pour figurer la tension intellectuelle de celui qui écrivait quotidiennement sans presque prendre de pauses, suivant le fil chronologique des pensées d’un auteur jamais au repos. De l’enfance jusqu’aux dernières années en passant par les luttes politiques, ce sont tous les épisodes de sa pensée qui défilent pendant un spectacle qui ne perd jamais son souffle.
Un seul en scène habité
La scène du Lucernaire est seulement occupée par deux chaises et un terre-plein central rempli de cailloux blancs quand le comédien apparait assis, en pleine lumière, pour déclamer les écrits d’Albert Camus. Le récit début évidemment dans cette Algérie natale si longtemps regrettée. Toujours lucide et autocritique, il évoque les manquements inhérents à une jeunesse toute remplie d’espoirs et de rêves, si loin de s’attacher à un quotidien que le reste de l’existence ne cessera jamais de regretter. Puis l’auteur débute sa carrière d’écrivain en se rendant compte de l’obligation d’écrire et de penser pour non pas se réaliser mais exister. L’arrivée dans la métropole est un déchirement tant le microcosme parisien rebute celui qui n’accorde jamais autant d’importance qu’à la vérité morale des êtres. Le monde de faux-semblants l’opprime mais sa quête intellectuelle le pousse irrémédiablement en avant, avec pour récompense ce Prix Nobel obtenu en 1957, consacrant un esprit libre et perpétuellement en mouvement. Le dépouillement de la mise en scène tranche avec la frénésie intellectuelle d’un auteur rentré dans la postérité pour ses écrits toujours engagés du côté de la sincérité. Albert Camus devient cet ami avec qui il serait si agréable de deviser sur les vérités de ce monde, surtout que ses avis rejoignent ceux de beaucoup sur notre monde actuel. L’opportunisme du personnel politique, l’oppression de la majorité par la vanité de quelques uns, la course factice au mérite sur la seule foi d’opinions frelatées, le monde de Camus semble furieusement ressemblé au notre et cette évocation proposée par un très convaincant Stéphane Olivié Bisson ravit un public acquis à ces pensées remplies de sincérité.
Il faut voir cette pièce emplie de vérité sur un homme jamais satisfait et conscient de ses limites dans un monde imparfait. Ces accents de vérité donnent du baume au cœur et laissent penser que tout n’est pas perdu pour celui qui sait regarder les choses en face sans se laisser abuser par la dissimulation.
Dates : jusqu’au 6 octobre 2019 – Lieu : Le Lucernaire (Paris) – Metteur en scène : Stéphane Olivié Bisson