« L’Evénement » d’Annie Ernaux et les mots pour le dire de Marianne Basler
Depuis 35 ans, Annie Ernaux, lauréate du prix Nobel de littérature en 2022, se raconte, elle, son père, sa mère, ses amants, ses années, et là, dans ce récit intime présenté sur scène, l’avortement clandestin qu’elle a subi en 1964, et qui faillit lui coûter la vie. Elle était alors une étudiante de 23 ans.
« L’Evénement », c’est d’abord un livre paru en 2000 qui raconte le parcours solitaire et effrayant de celle qui devait chercher, dans l’horreur et l’affolement du temps qui s’écoule, une « solution », c’est-à-dire une adresse secrète et de l’argent pour payer la faiseuse d’anges, ou alors devoir se résoudre à introduire elle-même dans son utérus l’un de ces objets dont la liste suscite aujourd’hui l’incrédulité et l’effroi.
En 2021, ”L’Evénement” est devenu un film, adapté au cinéma par Audrey Diwan, et récompensé du Lion d’Or à la Mostra de Venise.
Depuis le 13 février, « L’Evénement » est au théâtre de l’Atelier, mis en scène et joué par Marianne Basler, qui l’a interprétée aussi dans L’Autre Fille, autre adaptation d’un roman de l’écrivaine et qui évoquait sa sœur disparue avant sa naissance.
Face au réel
Le texte clinique, qui ne dramatise rien mais nomme la vérité dans sa justesse la plus absolue, évoque les conditions sordides de l’avortement, la violence du regard social, la culpabilité liée à un acte illégal et qui à l’époque se déroulait dans la clandestinité.
Et pas de dolorisme dans cette évocation du réel où la crudité des mots, la violence des situations se tiennent au plus près de la réalité, telle qu’elle fût éprouvée à ce moment là, dans le corps et la pensée de cette fille de 23 ans, dont un agenda et un journal reportaient le parcours douloureux et les sensations éprouvées.
Une écriture ciselée, d’une précision chirurgicale, qui résonne au plus près du réel, qu’il s’agisse des lieux, des personnes impliquées – docteurs et femmes aidantes, de ce que fut la faiseuse d’anges – et des gestes pratiqués.
Sans rien dissimuler des détails qui, justement, constituaient l’horreur de l’avortement clandestin, telle cette brosse à cheveux posée près de la cuvette où flotte la sonde qui sera introduite dans l’utérus, elle en restitue la cruelle réalité et le traumatisme qui hante encore la mémoire d’une génération de femmes.
Le ton neutre et articulé de Marianne Basler dans une incarnation totale de la langue, frappe comme un uppercut, un coup de tonnerre. L’adresse est franche et puissante.
Témoignage aussi d’une époque empreinte de paternalisme, de misogynie et de mépris de classe.
Dans une scénographie sobre aux éclairages crépusculaires, entre une chaise et une table, Marianne Basler, avec une intensité rare, donne corps à cette vérité salutaire et à sa déflagration aussi brûlante que percutante. Du grand art. Bravo !
Dates : du 13 février au 27 mars 2024 – Lieu : Théâtre de l’Atelier (Paris)
Mise en scène : Marianne Basler