
Marie-Laure de Decker à la MEP : l’art de viser juste
La MEP nous tend le miroir d’une époque en cendres : Vietnam, Tchad, Soweto, l’ombre de Pinochet… Le conflit est là, bien présent, mais Marie-Laure de Decker évite le choc frontal — elle préfère le hors-champ, la suggestion, l’humanité effleurée, non la violence surimprimée.
Pas de fracas, pas de poudre — la photographe tire au silence. Ses clichés du Vietnam ou du Tchad, aujourd’hui accrochés à la MEP, ne montrent pas la balle mais le souffle qu’elle laisse. Soldats épuisés, enfants sidérés : la guerre suinte dans les regards, pas dans les explosions.
L’engagement droit dans les yeux
Car avec elle l’image ne hurle pas, elle sourd dans la dignité des visages, l’intensité des silences, et dans ce pas de côté débusqué où la vie continue malgré tout, se montre envers et contre tout.
Pas d’explosions, pas de feu d’artifice sanglant : la guerre se lit dans les creux, dans les postures, dans les corps que la photographe sculpte à coups de lumière. Elle ne montre pas l’impact de la balle, mais la seconde qui précède ou suit. Le silence avant le chaos.
Puis viennent les portraits : Barthes, Duras, de Beauvoir, Godard. Même régime sec : pas de décor, pas de fioritures. Les icônes tombent le masque, ramenées à leur chair nue. De Decker ne hiérarchise pas : l’anonyme et la célébrité, le combattant et l’écrivain, tous logés au même cadre, à la même intensité.
Elle ne vole rien : elle attend. On sent dans chaque image le temps partagé, la confiance arrachée ou délivrée. Ce n’est pas la chasse de Capa, ni le spectacle de Nachtwey ; c’est une lente mise à nu, presque une ascèse. Le regard de ses sujets ne se détourne pas, il affronte celui qui le regarde aujourd’hui. Et ce face-à-face, c’est nous qui le recevons.
L’exposition façonne un dialogue constant : l’histoire et l’intime. Le reportage et le portrait se répondent, comme si la violence du monde ne pouvait s’exprimer que par la tension du sensible opposé. À l’échelle du photographe, c’est une quête d’équilibre : documenter sans sacrifier l’humain.
Près de 300 photos, toutes tendues comme des cordes prêtes à rompre, composent cette première grande rétrospective. On en sort le regard aiguisé. Car ici, l’image n’est pas souvenir — elle est l’engagement même, droit dans les yeux.
Dates : du 4 juin au 28 septembre 2025 – Lieu : MEP (Paris)
Photographe : Marie-Laure de Decker