Marilyn, dernier regard avec Adjani
Isabelle Adjani, ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre, est sur scène pour Le Vertige Marilyn. Ce spectacle convoque la figure de l’icône, disparue il y a tout juste 60 ans, et installe, in fine, un face à face entre les deux femmes. Un double jeu troublant qui croise deux destins et nourrit un dialogue imaginaire.
Parmi les multiples points de convergence entre les deux actrices à la fragilité extrême, toutes deux sont des transfuges de classes, ont accédé très rapidement et même de manière assez violente à la célébrité, ont joué avec les plus grands réalisateurs de leur époque, se sont essayées à la chanson et ont soufferts de grandes incursions dans leur vie intime et amoureuse, de la rumeur, de la parole mensongère… Le dialogue est presque partagé entre trois figures : Isabelle Adjani, Norma Jean (le nom de naissance de Marilyn Monroe) et le personnage de Marilyn que Norma Jean a créé pour s’en sortir.
Le texte du spectacle s’appuie sur la dernière interview donnée par Marilyn deux jours avant sa mort par overdose de barbituriques, à 36 ans. Mais aussi sur des extraits d’entretiens donnés par Adjani ou encore un poème de Pasolini.
Tout commence dans l’obscurité et sur des paroles prononcées d’une voix éthérée, soufflée parfois, au téléphone. C’est Marilyn Monroe qui appelle le standard, veut donner une interview, dire qu’elle n’est pas morte, affirmer qu’elle a des projets, des révélations à faire aussi, ne plus taire sa solitude…
Une « installation immersive » comme concept nous accueille, conçue par Olivier Steiner d’après son propre livre Le Ravissement de Marilyn Monroe et un décor conçu par le plasticien Emmanuel Lagarrigue, où du noir Soulages domine car le cœur du Vertige, ou plutôt son noyau dur, son trou noir, c’est la mort, celle de Marilyn mais aussi cet arrêt brutal sur image, que focalise le scandale de la mort.
Actrice absolue
Puis le plateau s’éclaire furtivement, une femme (Isabelle Adjani) apparait dans une robe noire magnifique, signée Dior, réplique parfaite de celle de l’Américaine durant son dernier shooting, six semaines avant sa disparition (devenu culte sous le nom de The Last Sitting), pour le magazine Vogue. Une silhouette nouvelle vers laquelle Marilyn voulait aller, en abandonnant les tenues trop collantes et sexy.
Une mise en abîme vertigineuse où Isabelle Adjani en interrogeant Marilyn dans une intimité d’esprit et un jeu de miroirs abyssal, nous plonge dans les méandres d’un destin brulé aux prises entre une blessure indomptable et une solitude irréconciliable. Un questionnement aussi sur la condition d’actrice, son isolement et sa surexposition, sa soumission au pouvoir de l’image, de la jeunesse, de la représentation du corps et de la presse.
Une forme de diffraction s’opère non plus via l’image mais dans la chair du texte et sa polyphonie, dont la résonance multiple et fantomatique nous habite.
D’un insaisissable mystère porté par une voix céleste et sensorielle, Isabelle Adjani, actrice absolue, magnétise l’espace d’un jeu et d’un timbre aux insondables variations et sensations. Du grand art. Bravo !
Dates : du 20 au 21 juillet 2023 : – Lieu : Festival les Nuits de Fourvière au Radiant-Bellevue (Caluire)
Conception et montage : Olivier Steiner
Isabelle Adjani est une actrice et une star. Contrairement à Marylin, elle a débuté avec la comédie française, devenant une prodige et pendant dix ans, de Truffaut à L’été Meurtrier de Becker, le film charnière, elle a joué les rôles les plus intenses, parmi les plus mythiques avec des cinéastes cultes, de Polanski à Zulawski, de Werner Herzog à Carlos Saura, de Rappeneau à Claude Miller, etc.. ensuite sa carrière est composée de tranches, hachées par des incidents et des amours tumultueuses dignes de Liz Taylor et, ici en est faite la démonstration, de Mlle Monroe. Cette deuxième tranche débute avec son grand rôle populaire, L’été Meutrier, Mlle Julie au théâtre abandonnée à la cinquantième pour souffrances psychiques, en passant par le triomphe de son album avec Gainsbourg, à sa prestation poétique de Subway, au naufrage de Ishtar qui aux côtés de Dustin Hoffmann et de Warren Beatty conforte encore le statut de star d’Adjani et s’achève avec deux chefs-d’œuvre, Camille Claudel de Bruno Nuytten, son cri, après l’avoir annoncée malade du Sida puis morte et La reine Margot de Chereau, sublime de bout en bout surtout dans sa seconde version (oublions Toxic Affair). Ensuite c’est la vie, la maternité, la psychothérapie et des éclairs de génie (la Dame aux Camélias mise en scène par Alfredo Arias ou Marié Stuart, repris par Huppert mais 20 ans plus tard à… 70 ans). Ce sont des bides enfin, jusqu’au ridicule d’un navet de Bollywood. Marylin a connu moins de succès et de chefs-d’œuvre mais la même intensité et la même volonté (parfois regrettable : Toxic Affair ou une Diane de Poitiers assez surprenante, sans doute décevante). Bravo Mlle Adjani