La troupe de la Comédie-Française
Théâtre du Vieux-Colombier jusqu’au 1 juin 2014
Léonie Simaga, sociétaire de la Comédie-Française, s’attaque pour la première fois à Shakespeare et au drame d’Othello qui crut à tort qu’un homme pouvait être accepté pour ce qu’il est et non pour ce qu’il paraît. En confiant le rôle titre à Bakary Sangaré, acteur noir, elle donne à voir l’altérité en prise directe avec la haine de l’autre et sa machination où les enjeux entre exclusion et contamination du mal sont clairement posés.
[pull_quote_left]Une œuvre puissante où l’ordre social se confronte aux désirs individuels de son héros.[/pull_quote_left]
Un général maure, Othello, est au service de la très puissante cité de Venise. Revenu vainqueur de la guerre, il séduit Desdémone, fille de Brabantio, un haut dignitaire. Pour embrasser son destin et devenir un citoyen vénitien à part entière, il l’épouse. Seule la raison d’Etat le sauve du châtiment. Avec sa femme et sa suite, il est envoyé à Chypre afin de repousser les Ottomans.
Parallèlement, son fidèle officier Iago, humilié de s’être vu refuser la promotion attendue au profit d’un autre gradé, Cassio, prépare sa vengeance. Il va semer le doute sur la fidélité de Desdémone et instrumentaliser l’opinion déjà troublée par une union qu’elle considère contre-nature.
Une conspiration qui va perdre Othello en lui ôtant toute lucidité où sa perception de la réalité concernant l’amour de sa femme et la légitimité de son identité vont se brouiller jusqu’à lui faire commettre l’irréparable.
Dès le début de la pièce, Othello ne fait pas partie du cercle des élus. Il obtient son mariage dont l’hostilité est revendiquée sur un coup de force. Il vit dans un monde où l’intégration n’est rien d’autre que le reniement de sa différence. Le bouc émissaire est tout de suite désigné, vilipendé, où sa légitimité est contestée et se trouve assimilée à la malédiction, à la sauvagerie.
la pièce met à nu le processus d’humiliation sociale qui est à l’œuvre où dès les premières scènes la confusion règne dans les ruelles sombres et voies sans issue de Venise. Où l’amour d’un noir pour une femme blanche doit affronter un père, un amant éconduit et un officier en mal de reconnaissance.
La scénographie de Massimo Troncanetti qui joue sur la profondeur, en dépit des contraintes de la salle du Vieux-Colombier, restitue entre ombre et lumière tamisée cette atmosphère lourde d’une ville forteresse avant de laisser place pour l’arrivée à Chypre sur le port, à un espace ouvert et dépouillé.
Incarnation du mal absolu qui voit le processus se fomenter avant de s’accomplir, Iago est un prédateur constituant le personnage central avec et par qui la tragédie se déploie. Traitre et manipulateur, à l’abri d’une théâtralité poussée à son paroxysme, Nâzim Boudjenah, très physique, campe un personnage malfaisant aussi diabolique que primaire, investi de tout son être dans l’exécution machiavélique de son plan d’action.
Sous le feu de son poison, Othello est progressivement contaminé où hanté par la honte de son origine, il réagit irrationnellement en projetant sur lui ce que les autres attendaient, l’image d’une bête immonde.
Dans une approche très concrète du verbe, Bankary Sangaré (Othello) s’empare avec une emprise singulière de la langue Shakespearienne à la fois céleste et triviale dont l’excellente traduction de Norman Chaurette fidèle à l’esprit du texte, colle aux tournures de langage d’aujourd’hui.
Une œuvre puissante où l’ordre social se confronte aux désirs individuels de son héros…