Une mise en scène moderne et risquée
Plus de soixante ans que les amants de Vérone n’étaient pas montés sur les planches de la Comédie Française. Pourtant légendaire, la pièce de Shakespeare n’avait pas été donnée depuis 1954. C’est aujourd’hui le metteur en scène et administrateur général de la Comédie Française, Eric Ruf, qui propose de remettre au goût du jour ce mythe vieux de plus de 400 ans. Un mise en scène originale, moderne et risquée qui fonctionne pourtant plutôt bien.
Dates : Jusqu’au 30 mai 2016
Lieu : Comédie Française (Paris) avec un lien si possible
Metteur en scène : Eric Ruf
Avec : Suliane Brahim, Jeremy Lopez, Pierre-Louis Calixte, Laurent Laffite, etc.
Etonnante : voilà comment cette version revisitée de Roméo et Juliette pourrait être résumée. Tout commence dans un bal populaire : les seules couleurs sont les robes pastels des filles, signées Christian Lacroix. Un homme chante au micro des airs populaires italiens. Dans la salle, certains disent « c’est surjoué », d’autres « c’est dénaturé », mais le moins qu’on puisse dire, c’est que ce Roméo et Juliette moderne fait effet. Le pari était risqué, le metteur en scène ayant volontairement souhaité effacer le côté « romantique » de la pièce initiale, au profit des caractères profonds des personnages qui l’animent. Il précise avoir posé un regard différent sur cette histoire d’amour « pour la débarrasser de tout romantisme écrasant, plaqué sur la rencontre de Roméo et Juliette, pour voir que cette histoire existe avant tout par sa fulgurance« .
Une mise en scène moderne dans un décor authentique et majestueux : une nouvelle lecture du texte de Shakespeare
En effet, dans ce Roméo et Juliette, la « rencontre » entre les deux amants reste anecdotique, Roméo (Jérémy Lopez) chante une chanson en italien dans une salle vide, où il va croiser Juliette (Suliane Brahim) par hasard. Quelques secondes seulement et on se croirait dans une série B, avec les rires qui vont avec. Les deux amoureux vont langoureusement s’embrasser sur le rebord d’un lavabo miteux. Trève de romantisme. Quelques minutes plus tôt, Roméo et ses acolytes Benvolio (Laurent Lafitte) et Mercutio (Pierre Louis-Calixte) s’adonnaient à des chorégraphies ridicules avant d’aller au bal. La salle rit. Quant au balcon fleuri de Juliette : aux oubliettes. Ici, le balcon est un mur de pierres vertigineux, de telle sorte à ce qu’on s’inquiète plus de la sécurité de Juliette que de la profondeur (relative) de ses propos. Oh Roméo, mon Roméo ! Les mythiques tirades de Juliette sont noyées par la majestuosité du décor. Et on ne s’y attendait pas : pari réussi, toute la salle est suspendue à cette acrobatie sans filet.
Côté décor, là aussi, le pari était risqué. C’est une ambiance sans fard ni couleurs, où des lavabos calcairisés et colonnes corinthiennes suffisent à accueillir les familles Montaigu et Capulet. Ce décor réalisé par Eric Ruf lui-même, fait écho à « une Italie pauvre où l’on observe sur les murs délabrés et beaux le souvenir d’une civilisation glorieuse« . Et cela fonctionne bien avec le choix de mise en scène adopté : sans romantisme, l’authenticité du décor ne dénature finalement pas grand chose et donne même un tout autre regard sur le texte de Shakespeare.
En définitive, ce Roméo et Juliette revisité fonctionne bien. C’est une lecture différente qui rompt avec le classicisme du texte original. Qu’on apprécie ou non, on n’en sort pas indifférent, ce qui fait de cette pièce un beau succès.
Synopsis : A Vérone, une rivalité ancestrale oppose Capulet Et Montaigu, corrompant toutes les couches de la société. cette haine ordinaire est régulièrement alimentée par des rixes et des crimes de sang qui rythment le quotidien. Lorsque Roméo Montaigu rencontre Juliette Capulet, naît immédiatement entre eux un amour dont ils savent l’éternité et pressentent la fin tragique.