Thomas Bernhard sous le regard trop vampirique de Séverine Chavrier
L’œuvre de Thomas Bernhard brûle d’une rage dévastatrice et se débat à la fois contre et avec le poids d’une culture emprunte de traditions, de ruptures et de contradictions.
Une hargne propre à dénoncer la persistance et le camouflage des réflexes et des tentations fascisantes, tout comme des traumas liés à l’histoire trouble du XXème siècle.
Attaquant violemment son Autriche natale, Bernhard témoigne aussi de nos sociétés occidentales écrasées par le poids de la culture muséifiée et panthéonique dont elles se servent comme expiation à leur médiocrité et à leur vide spirituel.
Cet emportement verbal qui cependant ne s’inscrit pas dans un mouvement global, est celui d’une voix solitaire, qui butte et s’obstine, soutenue par la seul combat obstiné de l’artiste, jusqu’au risque de son autodestruction.
Ludwig Wittgenstein, philosophe autrichien et patient assidu d’un asile d’aliéné, rentre chez lui, auprès de ses sœurs qu’il tyrannise autant qu’elle l’aime ou le haïsse.
C’est cette douleur ravageuse qui est à l’œuvre dans « Nous sommes repus mais pas repentis » où à travers un redoutable huis-clos s’explore toutes les névroses, frustrations et empêchements que provoque la famille et son entre-soi régressif.
Vecteur et métaphore de tous les traumas, de toutes les résurgences-fulgurances, de tous les maux qui guettent encore la vieille Europe dont le fascisme, le vieillissement, le gâtisme, la paralysie et l’ostracisme.
Si le spectacle se montre ambitieux, il se perd dans une mise en scène vampirique
Folie d’un homme aux prises avec la vacuité d’une réunion familiale où ses certitudes et obsessions disent toute la tyrannie et l’incompréhension d’une intelligence mise à mal qui tourne à vide : miroir d’un monde en décomposition, tandis que les deux sœurs, comédienne sans emploi ni talent, se confrontent à un immobilisme et un véritable étouffement de la chair, propices à leur enfermement et solitude sacrificielle.
Si le spectacle se montre ambitieux, trop sans doute, il se perd dans une mise en scène trop vampirique, expressionniste à l’extrême, qui cannibalise les enjeux et la portée du propos.
Les acteurs ne sont toutefois pas en reste où le trio Séverine Chavrier, pianiste à ses heures, Marie Bos et Laurent Papot se donnent à corps perdus dans cette traversée épique où s’opposent viscéralement fureur de vivre et impuissance.
Dates : du 8 au 17 mars 2018 l Lieu : T2G – Théâtre de Gennevilliers, Centre dramatique national
Metteur en scène : Séverine Chavrier l Avec : Marie Bos – Séverine Chavrier – Laurent Papot