Le Lucernaire aime les challenges, comme proposer un seul en scène avec un personnage entre le clochard et le cabochard chargé d’évoquer le génie de l’illustre auteur russe. Tout le talent du dénommé Charlie est de faire croire à de l’improvisation totale, avec ce qui ressemble à d’incessantes digressions ressemblant à des divagations. Le public est conquis par ce tour de force totalement maitrisé où loin de perdre de vue le génie du grand Fiodor, Benoit Lambert et Emmanuel Vérité lui rendent au contraire un bel hommage entre folie et autodérision.
Comment ne pas se sentir tout petit face à un génie?
Loin de tout académisme, le personnage de Charlie interprété par un Emmanuel Vérité des plus décontractés fait tout pour ne pas se sentir écraser ni laisser le public se sentir écrasé par le poids du génie. Car avec Tolstoï et Pouchkine, Dostoïevski incarne littéralement le meilleur de la littérature russe. Les frères Karamazov, Crime et châtiment, le joueur, L’idiot, ses classiques sont innombrables et représentent des monuments littéraires. Charlie invoque d’abord une pseudo requête du Lucernaire, présenter un grand auteur en un peu plus d’une heure, il s’étonne d’ailleurs du choix de Dostoïevski, auteur pas franchement connu pour sa joliesse et sa joie de vivre. Mais qu’importe, Charlie part dans tous les sens, invoquant autant l’inspecteur Colombo que la vodka polonaise pour subjuguer l’audience. Avec son look de gueux déguenillé aux cheveux aussi gras que mal coiffés, Charlie est en fait un narrateur des plus fascinants, semblant s’être privé de tout ego mal placé pour créer une vraie complicité avec le public, prenant à partie les spectateurs, distribuant les friandises et multipliant les confidences impromptues. Par son attitude désinvolte, il semble faire quitter l’univers théâtral pour un moment de partage sincère, comme avec un compagnon de bistrot rencontré à la volée. Belle performance, car il sait aussi réciter les grands passages de Crime et châtiment et des Frères Karamazov avec passion et conviction. C’est bel et bien du théâtre, le public semble s’en rappeler à l’occasion avec stupeur, le clochard céleste est bel et bien un comédien, avec un déguisement habile et des accessoires de théâtre échafaudés pour l’occasion. Fausse moustache, petits personnages fabriqués avec des bouchons, bougies de fête, tout est étudié à la perfection pour montrer au public la profondeur abyssale d’une œuvre littéraire pas comme les autres.
Alors au final, Tout Dostoïevski ne présente pas vraiment tout Dostoïevski, et heureusement, une heure ne suffirait pas à couvrir toute l’étendue d’une telle œuvre. Mais le pari est réussi, la salle du Paradis était pleine à craquer pour applaudir la performance du comédien dans son rôle de narrateur mystérieux ayant réussi à combler les attentes de tous. Le moment de théâtre est un indispensable de la saison à découvrir au Lucernaire jusqu’au 26 novembre.
Synopsis:
Drôle de type, ce Charlie ! Personnage haut en couleur tout droit sorti de l’imagination de Benoît Lambert et d’Emmanuel Vérité, l’inclassable énergumène s’attaque ici à un monstre de la littérature russe : Fiodor Dostoïevski.
Affublé d’une chemise hawaïenne, ce clochard céleste, passé maître dans l’art du décalage et de l’autodérision, tente ici de rendre un hommage accéléré aux plus grands romans de cet auteur à la fois craint et admiré : Crime et Châtiment version enquête policière, intrigue condensée des Frères Karamazov…
Mêlant érudition et humour, Tout Dostoïevski invite à un voyage poétique et décalé à travers l’œuvre d’un auteur majeur de la littérature.
Détails:
Représentations: du 11 octobre au 26 novembre 2023
Du Mardi au Samedi à 19h, le Dimanche à 15h30