Un grand moment de chanson et d’introspection avec la pièce Miss Nina Simone au Lucernaire
La grande artiste Nina Simone a fasciné les foules tout au long de sa riche carrière. Chanteuse, pianiste et compositrice, elle a démontré un charisme exceptionnel pour faire chavirer les publics et inscrire son nom dans la liste des interprètes majeurs du XXe siècle. Le spectacle Miss Nina Simone tient moins de l’hommage béat que de l’invocation solennelle en montrant l’artiste dans toute son humanité, forcément ambivalente et férocement critique envers elle-même. Une Nina Simone âgée et fatiguée est incarnée par une Jina Djemba en état de grâce, habitée par son rôle et interprète éblouissante de quelques uns des plus grands morceaux de bravoure de la grande dame du jazz, de la soul et de tout le reste.
Un choix de mise en scène audacieux
Pour qui pensait assister à un véritable pot pourri de toutes les compositions de Nina Simone pendant 1h30, le choc est rude mais salutaire. C’est une chanteuse décatie qui accueille les spectateurs, assise en fresques devant sa coiffeuse et devenue l’ombre d’elle même. Un nouveau homme à tout faire arrive et sert de fil rouge à une histoire qui lui fait remémorer son parcours de vie, de sa naissance en Caroline de Nord sous le nom de Eunice Kathleen Waymon en 1933 jusqu’à son explosion publique en passant par ses aspirations pour devenir la première pianiste concertiste noire de l’histoire et ses aventures amoureuses toutes plus désastreuses les unes que les autres. Jina Djemba personnifie avec grâce la grande dame en n’interprétant son premier titre qu’au bout de 25 minutes de spectacle. Les échanges avec Ricardo (Valentin de Carbonnières) sont d’abord emprunts de toute l’ambiguïté d’une chanteuse que la vie a abimé mais qui garde au fond d’elle-même des valeurs humanistes. L’entente se fait petit à petit, presque imperceptiblement jusqu’à la proximité et l’intimité. Le fil de sa vie remonte et la pièce ne cache rien, ni le meilleur ni le plus pathétique, imprégnant ce moment de théâtre d’accents tragiques qui touchent au coeur. La plus grande partie de l’action est censée se dérouler dans l’immense pièce de la demeure de l’artiste dans le Sud de la France. Des morceaux sont livrés au public, volontairement peu, pas plus de 6 ou 7, mais chacun émeut profondément l’audience tant la chanteuse démontre un art consommé de la chanson en même temps qu’une merveilleuse voix. Nina Simone semble revivre sur scène pour des sentiments partagés dans le public, l’immense artiste a vu sa vie comme lui échapper, emportée par un succès qu’elle n’a jamais considéré comme rendant justice à son talent. Les vicissitudes de sa position sociale de noire dans un pays ségrégationniste, l’impossibilité pour elle de s’accomplir par une carrière de pianiste concertiste, les regrets certainement et beaucoup de remords. La mise en scène d’Anne Bouvier révèle une complexité qui ravive parfaitement le roman de Gilles Leroy tout en donnant envie de réécouter les morceaux de Nina Simone. Surtout qu’un homme orchestre se cache dans un coin de la salle, actionnant ses machines ou usant de ses instruments avec une simplicité confondante, Jules Vannier concourt aussi à la réussite de la pièce.
Miss Nina Simone au Lucernaire réussit le pari de tout montrer, sans misérabilisme mais avec une émotion démultipliée. Portée par deux interprètes au somment, la pièce fait chavirer le public avec quelques extraits qui font plaisir, My baby just care for me et Ain’t got no en tête. La mémoire de Nina Simone est invoquée avec justesse pour un bel hommage à cette grande artiste.
Dates : du 18 avril au 2 juin 2018, à 21H du mardi au samedi, à 18h le dimanche
Lieu : Le Lucernaire (Paris)
Metteur en scène : Anne Bouvier
Avec : Jina Djemba, Valentin de Carbonnières, Julien Vannier