« Un mois à la campagne » : l’âme russe en effervescence
Ivan Tourgueniev, fin connaisseur de l’âme russe en effervescence, nous plonge dans les affres de l’amour qui vient, le temps d’un été, semer le trouble puis le désordre, chez des bourgeois paisibles et tranquillement retirés à la campagne.
Un jeune homme, engagé comme tuteur du fils de la maison, est convié à entrer dans le salon mais cette irruption soudaine dans un monde de conventions et d’insatisfaction, va faire chavirer les cœurs. Celui de Natalia, la maîtresse des lieux, et de Vera la jeune pupille.
Il y a là un ordre social chahuté, ébranlé d’habitude par des soulèvements ou des mouvements de révolte, et que l’attraction amoureuse ici bouscule jusqu’à révolutionner la maisonnée, chambouler la vie quotidienne, faire vaciller l’équilibre social et familial. Car là où le désir circule, le trio est secoué.
Une femme amoureuse à la fêlure romanesque
De ces personnages en proie à des sentiments irraisonnés aux prises entre l’illusion de leurs vies et sa frustration intime, on côtoie une impossibilité à être et les faux-semblants. De frustrations en bonheur inaccompli, de jalousie en rivalité calfeutrées, les tensions s’accumulent, l’orage menace. Les sentiments qu’éprouvent Natalia font naître chez elle un incroyable vague à l’âme alors qu’en même temps, elle ne peut admettre de trahir sa condition et son mari.
Natalia éprouve pour la première fois la fulgurance d’aimer, et c’est à cette déflagration de tout son être à laquelle on assiste et dont elle n’est pas préparée. Radiographie passionnée mais aussi cruelle des conflits intérieurs qui bouleversent l’être et le voit se débattre avec la passion impossible, l’emportement, les doutes, les contradictions, les peurs, et les renoncements.
La mise en scène élégante mais trop sage de Clément Hervieu-Léger édulcore le trouble et la confusion des sentiments. L’embrasement porté par le texte, au plus près des pulsions, des actes manqués et des faiblesses des protagonistes, ne s’électrise pas de ses désirs inassouvis et de ses souffrances enfouies.
Une mise à distance qui reste à coté de cette vérité humaine à la fêlure romanesque. Dommage !
Dates : 10 janvier au 4 février 2023 – Lieu : Athénée Théâtre Louis-Jouvet (Paris)
Mise en scène : Clément Hervieu-Léger