Une comédienne épidermique à découvrir dans la pièce Poil à gratter au Festival d’Avignon
C’est dans un appartement parisien qu’une foule d’invités a pu découvrir en show case privé la pièce imaginée et interprétée par Adeline Piketty. Poil à gratter est une pièce revêche qui extrapole l’existence d’une figure de la rue de la Roquette à Paris. Vêtue de frusques informes, Chantale vit dans la rue et la comédienne illustre en 19 scènettes son quotidien étriqué, laissant au public le choix de se faire une opinion sur le caractère volontaire ou subi de cette existence indigente. Le regard autant que les mots expriment une chute émotionnelle, avec la conscience sous-jacente de la possibilité d’un ascenseur social dégringolant et peut être d’un lâcher prise intime pour fuir les contraintes futiles d’une société capitaliste anxiogène.
Un seul en scène troublant
Adeline Piketty figure physiquement une femme qui erre réellement sur le macadam parisien. Troublée par cette apparition constante qu’elle croise quasi-quotidiennement, elle a imaginé mettre en scène une page de cette vie cloitrée sur quelques mètres carrés de bitume. Elle appelle cette femme Chantale et l’imagine ancienne psychiatre rompant toutes les attaches avec une existence certainement confortable. Reste la raison d’un tel choix, est-il le fruit d’une réflexion? Ou d’une pathologie? Ou d’un accident de la vie? La comédienne ne livrera pas ce secret qu’elle même ne peut que conjecturer. Cette femme a-t-elle de la famille, des enfants? Le spectateur doit faire dans sa tête le chemin vers elle pour tenter d’accepter ce naufrage volontaire, hors des sillons du capitalisme universel pour une vie au jour le jour, sans perspectives au-delà du court terme ni plan sur 30 ans. L’expérience théâtrale est éreintante mais enrichissante, comme si pour une fois le spectateur avait enfin le temps d’entendre une sorte de confession, avec des mots de la rue et un regard différent sur la réalité. La SDF voit les gens se presser, s’inventer une silhouette pour exister socialement, s’attifer de sacs de marque, autant de choses que Chantale regarde avec dédain. Le public se demande également si cette héroïne de la vie réelle a besoin d’aide, son destin semble parfaitement lui convenir, se débrouiller avec des petits bouts de rien, des restes de la boulangerie ou des conserves récupérées au supermarché lui peut lui apparaitre comme un sort tout à fait enviable.
Une pièce qui fait réfléchir
La mise en scène sommaire donne toute la place à la comédienne. Dans les oripeaux de Chantale, mais aussi en narratrice ou en ami SDF, elle conserve ce regard aussi doux que lucide sur une échappée de la société. Présente au milieu de la multitude mais seul parmi les passants, Chantale est une métaphore d’un choix conscient sur les limites de notre système incapable de digérer tous ses membres et oublieux de tous ceux qui lui tournent le dos. Avec l’éternelle musique de Purcell pour les funérailles de la reine Mary qui rythme la pièce de son air solennel, la comédienne occupe tout l’espace, a la liberté de s’approcher des spectateurs pour les toiser ou les invectiver. Munie de son sac en toile vendu sur les trottoirs près de Barbès, Chantale ne détient que de rares vêtements comme seuls biens matériels. Symbole du refus du capitalisme et des conventions, elle symbolise un jusque boutisme qui place le spectateur face à un paradoxe vivant. Plongée dans le dénuement, Chantale est peut être une Sisyphe moderne, heureuse de son sort malgré les avanies qui pour elles n’en sont pas. De quoi singulièrement changer les perspectives et se poser un tas de questions.
Ce Poil à gratter démange le spectateur, ne cessant justement de le gratter dans des endroits habituellement impassibles de l’esprit. Ce regard donné par Adeline Piketty sur une image humaine abimée qui ne l’est peut être pas tant que ça ne cesse d’interroger et garde sa place dans l’esprit du spectateur longtemps après. La pièce sera à découvrir à Avignon cet été pour un écho qui ne manquera pas de raisonner jusqu’à vous.
Dates : Festival Off d’Avignon du 6 au 29 juillet à 14h30, relâche le mercredi
Lieu : Espace Alya (Avignon)
Metteur en scène : Laurence Campet
Avec : Adeline Piketty