Une Maison de Poupée intense et pénétrante au Lucernaire
Le chef d’oeuvre d’Henryk Ibsen Une Maison de Poupée est adapté avec succès sur la scène du Lucernaire par Philippe Person. L’acteur et metteur en scène reprend l’intrigue imaginée à la fin du XIXe siècle pour la transformer en huis clos hitchcockien pesant. Souvent décrite comme une pièce féministe sur une héroïne corsetée par les conventions de son époque et éprise de liberté, cette Maison de Poupée subjugue par l’intensité de son interprétation et la modernité de sa mise en scène.
Une pièce ancrée dans le XIXe siècle
L’auteur norvégien se basa sur un fait divers pour imaginer sa Maison de Poupée en 1879. Nora et Torvald forment un couple bourgeois typique de la fin du XIXe siècle. Heureux parents de 3 marmots, leurs rôles sont clairement et socialement définis. La mère au foyer et le père actif se répartissent les rôles de la manière la plus naturelle du monde. Pourtant l’équilibre va être mis à mal car le couple a traversé une mauvaise passe et Nora a du contracter une dette pour permettre au couple de rester à flot. Quand son mari obtient une promotion et se décide à faire licencier celui qui n’est autre que le bénéficiaire de cette dette, le bateau tangue. Car Nora a menti à son mari sur l’origine de cette mystérieuse somme. La poupée engoncée dans une douce vie de facilité craint de tout perdre. S’étant risquée à sortir de son rôle, elle a attisé les flammes d’un destin contraire.
Une mise en scène moderne et anxyogène
Philippe Person fait monter la tension par petites touches. C’est ce sapin de Noel bien seul à être lumineux sur scène, le transformant imperceptiblement en témoin muet, ce sont ces vitres qui transforment la scène en bocal clos et irrespirable et c’est ce couple aux non-dits meurtriers. Leur bonheur semble monté de toute pièce, façade brinquebalante derrière laquelle se terrent les inimitiés silencieuses. Il la méprise, elle ne le respecte que peu, les fondations du couple sont fragiles et la tempête du chantage finira par faire s’effondrer l’édifice. En plein coeur d’un XIXe siècle traditionaliste, la pièce fit l’effet d’une bombe dont la secousse se fait encore ressentir. En montrant une femme décidée à se libérer du diktat des conventions, Ibsen fit la même chose qu’Ingmar Bergman en 1973 avec son film Scènes de la vie conjugale, à l’origine d’une ribambelle de divorces dans la très corsetée société suédoise.
Des artifices scéniques forts de sens
La scénographie est sommaire. Un sapin, une table, deux chaises, un tapis. L’objectif n’est pas de surcharger la pièce mais de la fluidifier. Et entre chaque scène, ces sont des musiques contemporaines qui se font entendre, aux significations qui ne font aucun doute. Le très ironique Perfect Day de Lou Reed insiste sur l’illusion d’un bonheur précaire. Le dramatique The End des Doors préfigure l’inéluctable fin du couple. Le Foxy Lady à double tranchant de Jimi Hendrix relève les liens finalement illusoires qui relient le couple. Quant aux acteurs, l’intensité de leur jeu est au diapason des intentions de Philippe Person. La brindille Florence Le Corre passe de la Bisounours légère à la femme blessée dans un revirement impressionnant. Le mari Philippe Calvario tente de sauver les meubles mais l’acteur incarne parfaitement la lâcheté d’un mari enfermé dans son système. Quant aux troublions Nathalie Lucas et Philippe Person, ils ne font que défaire ce qui n’attendait qu’une brise hostile pour s’effondrer.
Le public nombreux salue fort justement une prestation théâtrale acclamée qui marquera la fin 2016 et le début 2017. La pièce d’Ibsen fait froid dans le dos et détruit le mur des apparences factices, cette mise en scène lui fait honneur pour une empreinte indélébile dans les esprits!
Dates : du 7 décembre au 21 janvier 2017 / saison prolongée du mardi au samedi à 21h et dimanche à 19h du mercredi 8 février au dimanche 12 mars 2017
Lieu : Lucernaire (Paris)
Metteur en scène : Philippe Person
Avec : Florence Le Corre, Nathalie Lucas, Philippe Calvario