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La confession manquée d’Arthur Dreyfus, « Journal sexuel d’un garçon d’aujourd’hui » aux Editions P.O.L

Arthur Dreyfus © Hélène Bamberger P.O.L

Arthur Dreyfus, « Journal sexuel d’un garçon d’aujourd’hui » aux Editions P.O.L

Mon Dieu quelle époque ! Il y a quelques mois apparaissait sur les tables des libraires un volumineux Journal dont le titre vaguement inspiré d’un roman de Mauriac semblait contenir toute l’ambition de son auteur : non seulement évoquer sans détour le quotidien de sa vie sexuelle mais révéler à travers elle l’état d’esprit d’une génération, d’une époque, voire d’un siècle. Arthur Dreyfus a-t-il réussi son pari ? D’un point de vue strictement littéraire, force est de constater que non. Après avoir parcouru d’un œil bienveillant les quelque deux mille trois cent quatre pages de cet interminable pensum, nous inclinons à penser que l’auteur peine à rivaliser avec son illustre prédécesseur tant son style de mirliton pêche par une accablante platitude, tant aussi sa manière élémentaire de raconter ne dépasse guère les prouesses d’un lycéen de seconde.

Or le style, disait l’autre, c’est l’homme. Quel genre d’homme est donc Arthur Dreyfus ? Disons que c’est un gay d’aujourd’hui, comme il vous est loisible d’en croiser chaque jour dans notre vaste métropole, un gay bourgeois et intelligent, nanti de diplômes et de privilèges, que rien ne distingue de son alter ego hétérosexuel, le bobo parisien dans la force de l’âge, plus soucieux du périmètre de son appartement et de son avancement social que des lendemains qui chantent. Rien ? Pas tout à fait cependant. C’est que notre garçon d’aujourd’hui, malgré son profil de gendre idéal, est habité par une tyrannique compulsion sexuelle qui vient bouleverser son quotidien et le soustraire bien malgré lui au destin de ses semblables.

Tel est bien le sujet du livre. Habité par le démon du sexe, Dreyfus voit son existence assez banale- existence dont nous ne savons pas grand-chose : que pense-t-il ? à quoi rêve-t-il ? a-t-il des opinions politiques ou religieuses ? – élevée au rang d’un road-movie pornographique qui l’emporte frénétiquement sur les sentiers de la baise où l’application Grindr fait office d’escale régulière. Bien malgré lui, disions-nous. Et c’est bien là que le bât blesse, que ce Journal sexuel s’avère si décevant, morne, conventionnel, et si peu gay au sens étymologique. C’est que notre auteur n’a rien d’un héros ou d’un martyr, d’un poète ou d’un voyou, il n’est qu’un homme ordinaire que la particularité de son économie psychique, l’épanchement de sa libido, précipitent à son insu dans les bas-fonds du sexe, sans qu’il ne parvienne jamais à extraire de ses incursions souterraines la moindre lumière, la moindre connaissance, sans que ne l’effleure jamais le moindre frisson charnel ou amoureux. Ordinaire, la sexualité de l’auteur l’est également au plus haut degré.

Derrière le voile de fumée d’une apparente transgression, Dreyfus apparait comme un fonctionnaire du stupre hanté par le fantasme de la normalité, s’attachant souvent aux formes les plus conventionnelles de la masculinité. Conformément à l’idéologie dominante des réseaux sociaux, jamais un partenaire n’est présenté autrement que par son âge, sa couleur de peau et ses attributs sexuels : « Son corps est musculeux, il a vingt ans, les cheveux extrêmement blonds, joli sexe, trou parfaitement lisse. » Au demeurant, à peine dégrisé de ses frasques libidinales, l’auteur ne manque pas de nous rappeler que s’il ne baise pas comme les autres il tient à penser comme tout le monde : « Je ne suis pas favorable à la pédophilie, je la réprouve… », etc. Quelle grisaille ! Quel vide ! Oui, répétons-le, à quelques exceptions près, sans doute vers la fin du livre où sourd de cette épaisse mélasse un début de clarté, jamais l’auteur ne s’interroge sur lui-même, ni sur l’autre, jamais il n’interrompt un instant sa frénésie sexuelle pour tenter de l’intégrer à un ensemble plus vaste, à une compréhension plus ample de son existence, en dépit d’ailleurs de sa fréquentation assidue du cabinet de l’analyste qu’il semble traiter avec la même versatilité que ses partenaires sexuels : « dans les jours qui suivent, conscient d’être véritablement malade, je me résous à trouver un autre analyste. » Oui, Arthur Dreyfus baise comme il vit, vit comme il baise, et baise comme il écrit : mal, vite et sans éclat.

Que conclure en définitive de cette confession ? Dans L’Homme sans gravité (2002), le psychanalyste Charles Melman avait prophétisé un bouleversement radical de la condition humaine consécutif à l’expansion de l’économie libérale, un effacement de l’ancien sujet hanté par le désir et la faute devant un individu errant, délesté de tout ce qui le rattachait autrefois à l’Histoire, la Loi et l’Utopie. Telle est, à nos yeux, la signification du Journal sexuel d’un garçon d’aujourd’hui. Dans ces pages monotones, on retrouve l’individu sans destin, sans règles et sans attaches de nos sociétés actuelles ; l’individu qui ne pense rien, n’éprouve rien, ne regrette rien et ne s’oppose à rien ; que seule la tyrannie du besoin, confondu avec le désir, mène par le bout de son nez. En ce sens, Arthur Dreyfus a bien réussi son pari : son livre est générationnel. Mais s’agit-il encore d’un livre ? Ni œuvre, ni journal, ni document, cette compilation a plutôt valeur de symptôme. Symptôme d’une époque où la Société du spectacle incline à prendre des vessies pour des lanternes, imposant comme œuvre littéraire ce qui n’en possède que le nom. Nous apprenons que la vessie d’Arthur Dreyfus figure en bonne place sur la liste du Prix Médicis. Gageons que le jour de sa proclamation, elle explosera avec fracas à la face du jury.

Editions P.O.L
Date de parution : Mars 2021
Auteur : Arthur Dreyfus
Prix :
37 €

Fin de siècle, un film simple et beau sur les enjeux de notre époque, de Lucio Castro, en salles le 23 septembre 2020

Les premières minutes de Fin de siècle donnent le ton. Un silence assourdissant accompagne les déambulations d’un homme dans la ville qu’il arpente, il semble s’y ennuyer jusqu’au premier eye-contact avec un autre homme. Le film brosse un portrait de notre époque, entre les attentes vis-à-vis d’une relation amoureuse, les enjeux du couple au fur et à mesure que le temps avance et que la tentation d’aventures fugaces devient de plus en plus vivace. Fin de siècle montre aussi la force d’une famille toute dévouée à un petit enfant. Lucio Castro vise large avec de longues discussions faisant entrer dans l’esprit de personnages en quête d’eux-mêmes. C’est pudique et authentique, direct et émouvant avec une chronologie bouleversée par d’incessants allers retours temporels.

Le sentiment à l’épreuve du temps

Ocho (Juan Barberini) est un homme argentin parti en vacances à Barcelone pour faire le point dans un AirBnB. Il a pris la décision difficile mais nécessaire de faire une pause avec son compagnon après 20 ans de relation. Le fil de sa vie défile tout au long du film, entre résurgences de sa vie de couple passée devenue sans passion et la rencontre avec un homme déambulant dans la rue en bas de son appartement. Ce bel hidalgo se nomme Javi (Ramon Pujol) et les deux hommes se rapprochent très vite dans une passion toute animale, et ils discutent encore et encore pour permettre au spectateur d’en savoir un peu plus sur le pourquoi du comment. Car Ocho et Javi ne sont peut-être pas inconnus l’un pour l’autre. La connexion amoureuse et physique entre les deux hommes ouvre un univers large et étendu sur une longue durée, comme pour montrer l’évolution de chacun sur une si longue période, avec des priorités mouvantes et l’érosion des certitudes de la jeunesse à l’épreuve du temps. Le scénario non linéaire fait des bons en avant et des retours en arrière comme pour montrer qu’une relation a besoin de temps pour se construire, mais aussi de solitude pour se décoller de l’autre et mieux se retrouver. En englobant autant la sexualité que la famille et l’introspection, le réalisateur propose une réflexion qui interpelle par sa profondeur sur la société actuelle, loin de tout raccourci ou facilité.

Le film Fin de siècle a été présenté au Festival Chéries Chéris 2019 avec un certain succès que la sortie en salles le 23 septembre 2020 pourrait bien confirmer.

Synopsis: Un Argentin de New York et un Espagnol de Berlin se croisent une nuit à Barcelone. Ils n’étaient pas faits pour se rencontrer et pourtant… Après une nuit torride, ce qui semblait être une rencontre éphémère entre deux inconnus devient une relation épique s’étendant sur plusieurs décennies…

[Manga] Pandora Seven, tome 1 : un shonen au pays des dragons (Soleil Manga)

[Manga] Pandora Seven, tome 1 : un shonen au pays des dragons (Soleil Manga)

Shonen dont on a peu entendu parlé, Pandora Seven raconte l’histoire de Lia, une jeune fille humaine qui a été élevée par des dragons et qui vit une vie douce et paisible avec ses amis sur une île peuplée de créatures fantastiques. Mais Lia est la seule humaine de ce monde et elle rêve de rencontrer un jour d’autres personnes de son espèce. 

Lorsqu’elle en aura l’occasion, ce sera malheureusement du fait de l’invasion de ce monde par des humains mal intentionnés. Lia va donc devoir défendre son île, sa famille et ses amis contre ces humains monstrueux. Et elle est prête à tout, même à ouvrir la boite de pandore… Un récit d’action, ponctué de nombreux combats épiques.

Les personnages sont plutôt attachants et le dessin est très réussi. On passe un bon moment de lecture et on se prend au jeu ! A découvrir.

Résumé de l’éditeur :

Lia, une jeune humaine élevée par une mère dragon, est la seule de son espèce sur la petite île où elle vit paisiblement entourée de nombreuses créatures fantastiques. Mais ses jours heureux prennent fin quand une armée d’humains sanguinaires débarque pour dévaster son île dans le seul but de récupérer la boîte de Pandore !
Date de parution : le 7 février 2024
Auteurs
: Yuta Kayashima (scénario et dessin)
Genre : shonen
Editeur : soleil manga
Prix : 8,50
Acheter sur : BDFugue

Un vrai moment de plaisir avec Very Math Trip au Lucernaire

Le Lucernaire laisse la scène à un prof de maths pour un spectacle basé sur les mathématiques, malin et ludique. Manu Houdart fait le pari de rendre cette matière scientifique intéressante et divertissante, il y parvient sans mal avec un humour ravageur et des démonstrations qui laissent coi. Le temps passe à toute vitesse et les spectateurs en redemandent!

Les maths, ça peut être rigolo

Le prof de maths est belge et n’a pas la langue dans sa proche. Il le prouve durant un voyage dans le monde des mathématiques qui surprend et interpelle. Doté d’une vivacité d’esprit peu commune, le prof est agrégé en mathématiques et surtout passionné par sa matière. Mis en scène par Thomas le Douarec, le show est un véritable ravissement. Les énigmes défilent et les spectateurs jouent le jeu avec entrain pour les résoudre avec application. Théorème de Pythagore, équation de Gauss, décimales de Pi, les néophytes écarquillent les yeux et les habitués des chiffres se régalent. Pas besoin d’être un génie pour jouer le jeu et entrer dans la danse. Petits et grands s’émerveillent devant des démonstrations savamment expliquées avec doigté et humour. Ce Very Math Trip donne envie de se replonger dans ces livres de maths du collège pour réviser ses théories et en tirer sa substantifique moelle. La salle est pourvue d’un écran pour voir défiler des informations des plus passionnantes. Nombre de prix Nobel, femmes fortes en maths, vie de Pythagore, rien n’est rébarbatif et tout est intéressant. Et quand le prof commence à réciter les décimales du nombre Pi, il y a de quoi finit baba.

Vraiment, ce prof de maths prend un malin plaisir à démontrer que sa discipline n’est pas qu’un moment effrayant, il fait la preuve que l’on peut s’extasier devant la logique des nombres pour un divertissement intégral. Les maths, ce n’est pas que traumatisant!

Synopsis:

UN VOYAGE ÉTONNANT DANS UN MONDE FASCINANT

Au départ, cela peut sembler un pari fou que de vouloir nous faire aimer cette matière parfois effrayante. Et pourtant, avec plus de 200 000 spectateurs au compteur, on peut se demander pourquoi personne n’y a pensé plus tôt !
Avec une énergie débordante, Manu Houdart – agrégé de mathématiques – s’amuse à nous démontrer que les maths se cachent partout dans nos vies et que le théorème de Pythagore peut même se glisser dans une partie de foot !
Sous la direction de Thomas le Douarec, metteur en scène du célèbre spectacle Les Hommes viennent de Mars et les Femmes de Vénus, Manu Houdart nous offre, un spectacle aussi inédit qu’inoubliable.
Un régal pour toute la famille. On en ressort émerveillé !
Un one-math-show qui ne divise personne et dont la probabilité de réconciliation avec les mathématiques est proche de 100% !

Détails:

Dimanche 19h

14 janvier au 2 juin 2024 au Théâtre Noir

Le Malade Imaginaire plus actuel que jamais sous le regard affûté de Tigran Mekhitarian 

Le Malade Imaginaire plus vivant que jamais sous le regard affûté de Tigran Mekhitarian
Le Malade imaginaire – Mise en scène Tigran Mekhitarian (© DR)

Le Malade Imaginaire plus actuel que jamais sous le regard affûté de Tigran Mekhitarian

Comme pour son adaptation des Fourberies de Scapin, Tigran Mekhitarian a choisi de transposer son Malade Imaginaire, à notre époque. Dans cette appropriation singulière de la langue moliéresque, Tigran Mekhitarian conserve le texte original, mais l’enrichi de séquences personnelles toujours justes (chant, danse, rap) et d’un phrasé nerveux, qui l’ancre pleinement dans l’aujourd’hui et au plus près de son humanité : une réussite.

Contradictions, faiblesses, aveuglement, faux-semblants, coups de théâtre, ironie dramatique, sont à l’œuvre dans ce théâtre qui déborde de toute part et dont l’excès s’accorde à dépeindre les ressorts de l’âme humaine. Car Molière ne parle que des Hommes, de leurs vices et de leurs vertus.

Dans ce chef d’œuvre comique, la croyance en la médecine est de l’ordre de la foi et les machinations burlesques une religion. Cette foi le pousse à adopter des comportements qui choquent autant les mœurs que la raison. Sa fille épousera un médecin, a-t-il décidé, et la pauvre Angélique n’aura pas trop des trois actes de la pièce pour se défaire de ce projet funeste.

Mais la crédulité d’Argan ne se limite pas à sa soumission totale aux préceptes de la médecine. Elle s’étend également aux fausses marques d’affection de sa seconde épouse, qui convoite son héritage, et qui sera démasquée par un subterfuge. Elle trouve enfin un point culminant dans le crédit qu’il accorde à une cérémonie factice qui, au dénouement, le promeut solennellement à la dignité de médecin.

Une langue désacralisée 

Mais la satire sait également faire vibrer la corde sentimentale et advenir une forme de résilience a travers l’amour filial, les échanges amoureux, le sursaut libérateur.

Dans la mise en scène de Tigran Mekhitarian, Argan est un dépressif. C’est là sa seule maladie. Il a la sensation qu’on ne l’aime pas, qu’on ne l’écoute pas. Il se sent seul et n’a pas les mots pour exprimer ce qu’il ressent. Tel un enfant colérique, il attire l’attention par ses caprices, la rage, la haine et la frustration. Dépendant des antidépresseurs qu’on lui prescrit, il est sujet à des perturbations radicales et excessives de l’humeur, et réclame de l’aide en se jouant de lui et des autres.

La modernité de ton qui désacralise le texte, frappe juste et fort. Dans une restitution très actuelle et rythmée, elle fait entendre et résonner comme jamais la solitude intime d’Argan, la rébellion féministe d’Angélique, l’amour inconditionnel de Cléante, l’humanité de Toinette, la perfidie de Béline, la protection de Béralde. Le tout à travers un jeu, des intentions, des images, des chants, un chœur, des scènes rapportées et/ou chorégraphiées qui revisitent le texte et en explore toute sa dimension dramaturgique.

Une vision de l’œuvre servie par des comédiens au diapason et en osmose totale avec ce conte aussi urbain qu’impétueux. Bravo !

Dates : du 14 au 31 mars 2024 – Lieu : Théâtre des Bouffes du Nord (Paris)
Mise en scène et adaptation : Tigran Mekhitarian