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« Age of Content » : le manifeste syncopé de (LA)HORDE face au vertige numérique

"Age of Content" : le manifeste syncopé de (LA)HORDE face au vertige numérique
(LA)HORDE – Age of Content – Mise en scène Marine Brutti, Jonathan Debrouwer, Arthur Harel (© Fabian Hammerl)

« Age of Content » : le manifeste syncopé de (LA)HORDE face au vertige numérique

Il y a, dès l’ouverture, comme une énergie brute dans l’air. « Age of Content », nouvelle création du collectif (LA)HORDE, propulse le spectateur dans une suite de tableaux où le virtuel n’est pas un décor mais une condition d’existence. Les danseurs y deviennent figures paradoxales : pixels en chair, avatars habités, corps traversés de flux. Et si l’on a bien affaire à une pièce de danse, elle ressemble parfois à un manifeste déguisé en rave.

Le premier tableau donne le ton : un ballet automobile où un véhicule téléguidé sorti de nulle part, joue avec les interprètes comme un chat ironique devant une volée d’oiseaux mécaniques. Les corps, d’abord à l’affût, sont piégés dans une gestuelle de l’évitement, de la tension. On comprend d’emblée : ici, le geste ne se déploie pas pour séduire, mais pour survivre. Le chorégraphique se fabrique dans le frottement avec une réalité instable, parfois même hostile.

S’ensuit une plongée dans un univers d’avatars : silhouettes quasi désincarnées, démarches incertaines, frappées d’un déséquilibre programmé. Les interprètes ressemblent à des personnages de jeux vidéo perdus dans un monde qui ne les reconnaît plus. La danse devient ici syntaxe du bug, grammaire de la latence. Les ensembles robotiques, les déphasages volontaires, les scansions abruptes fabriquent un trouble esthétique majeur et palpable : à quel moment ces corps sont-ils encore vivants ? À quel moment basculent-ils dans l’image ?

Une partition chorégraphique comme écriture du débordement, de la saturation 

Mais c’est bien cette tension que Marine Brutti, Jonathan Debrouwer et Arthur Harel, les cerveaux à trois têtes de (LA)HORDE, cherchent à orchestrer. « Age of Content » n’est pas un simple miroir tendu à notre époque saturée d’écrans : c’est une réponse en acte, une tentative de réappropriation du geste dans un monde débordé de data. Et ce geste, même mécanisé, même reproduit jusqu’à l’épuisement, conserve une charge presque mystique. On y lit le refus d’abdiquer, l’insistance à exister envers et contre tout.

C’est d’ailleurs dans la collision des registres que le spectacle trouve sa force la plus singulière. Aux postures exacerbées des TikTokeurs répondent les figures jazzy des musicals de Broadway. La danse saute les générations : du jumpstyle né dans les recoins numériques aux transversales millimétrées à la Lucinda Childs, tout cohabite. Philip Glass fournit la matière musicale : ses nappes répétitives, hypnotiques, deviennent tapis de course chorégraphique, terrain d’endurance physique et mentale. La musique, comme les corps, travaille l’idée d’un mouvement sans repos, d’un présent en boucle.

Le final, euphorisant, n’est pas une résolution. C’est une transe. Le plateau devient alors une piste de comédie musicale déglinguée, saturée de gestes remixés, rejoués, contaminés. Mais ce n’est pas une fête naïve : c’est une catharsis. Car pour atteindre ce moment de relâche, il a fallu tout traverser — les tensions, les frictions, les dérives. Et impossible à l’issue de cette traversée de ne pas saluer l’engagement quasi hallucinant des danseurs du Ballet national de Marseille.

Sur le plateau dix-huit corps, dix-huit interprètes acérés, jamais décoratifs. Leur virtuosité n’est pas démonstrative : elle est incarnée, militante. Ce sont eux qui tiennent la tension d’un bout à l’autre, eux qui nous rappellent que le geste tonitruant, même face à la numérisation du monde, garde encore en creux une puissance inaliénable.

En somme, « Age of Content » n’est pas un commentaire sur le monde numérique. C’est une secousse. Une onde de choc chorégraphique qui cherche, par le corps, à reprendre la main sur nos propres images et sur notre destin.

 Dates : du 29 mai au 7 juin 2025 – Lieu : Théâtre de la Ville (Paris)
Chorégraphie : (LA)HORDE

NOS NOTES ...
Originalité
Chorégraphie
Si le droit mène à tout à condition d'en sortir, la quête du graal pour ce juriste de formation - membre de l'association professionnelle de la critique de théâtre de musique et de danse - passe naturellement par le théâtre mais pas que où d'un regard éclectique, le rédac chef rend compte de l'actualité culturelle.
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