L’auteur Anne-Lise Melquiond s’est basée sur sa thèse soutenue avec succès et intitulée Apocalypse et fin du monde dans les séries télévisées américaines pour proposer un ouvrage qui plaira autant aux lecteurs érudits qu’aux geeks. Car elle enchaine autant les références à des séries américaines universellement connues que des approfondissements philosophiques / sociologiques sur une tendance de plus en plus répandue dans les séries américaines à imaginer la fin du monde et le sort des quelques survivants obligés de survivre en milieu hostile. En 160 pages seulement, le sujet est brossé de manière très large et très approfondie, avec des digressions qui interrogent et laissent méditatifs pendant de longues minutes.
L’apocalypse à nos portes
Si les grands films de zombie de l’après seconde guerre mondiale trouvaient leur terreau dans l’hiver nucléaire inédit engendré par la bombe d’Hiroshima, les séries qui défilent sur nos écrans depuis maintenant 20 ans – soit grosso modo depuis le 11 septembre 2001 – imaginent des populations exsangues après la survenance de nombreux types de catastrophes et obligées de survivre dans des conditions complexes. Apparition de zombies dans The Walking Dead, catastrophe nucléaire dans The 100, extraterrestres cylons dans Battlestar Galactica, cause inconnue dans The Leftovers, ces séries ont pour point commun une narration échevelée se localisant presqu’exclusivement aux Etats-Unis ou avec des américains dans un ethnocentrisme qui interroge sur la fragilité intrinsèque d’une si grande nation qui craint sa disparition du jour au lendemain. Les 10 saisons (à ce jour) de The Walking Dead se concentrent notamment sur les péripéties de quelques survivants obligés de composer avec les membres de la même troupe, d’autres groupes d’humains rivaux et des zombies omniprésents. Les séries télévisées qui abordent la thématique de la fin du monde se concentrent souvent sur l’après catastrophe et la question de la survie. Loin de se laisser aller, les survivants s’organisent et doivent surmonter des conditions de vie propres à décourager la plupart des habitants actuels de la planète. Imaginer la finitude de notre espèce ne cesse de fasciner et l’analyse proposée par l’auteur multiplie les pistes de réflexion, toutes passionnantes. Et les séries comportent souvent plusieurs saisons, proposant un temps incessamment répété et jamais vraiment terminé, la fin des temps n’équivaut pas à la fin du monde. Et les scénarios imaginés avec des zombies et des androïdes, hautement improbables, n’évoquent pas d’autres scénarios plus proches de nous, comme le réchauffement climatique, la menace de désastres industriels ou la pandémie de Covid, comme s’il fallait imaginer des causes abracadabrantesques pour attirer l’attention, et non pas des menaces réelles qui pèsent sur notre monde capitaliste.
L’auteur enseigne l’histoire et la géographie, Apocalypse show, quand l’Amérique s’effondre est son premier essai, et c’est un feu d’artifices. Complet et varié, l’ouvrage multiplie les pistes de réflexion pour une attention qui ne baisse jamais pour bien en saisir les concepts, quitte à le relire une seconde fois. Une lecture passionnante qui montre bien la profondeur des séries apocalyptiques à notre époque obnubilée par une possible fin du monde.
Synopsis: Zombies, extraterrestres, holocauste nucléaire, robots androïdes, disparitions mystérieuses et virus exterminateurs sont révélateurs de la grande peur des États-Unis : la chute de la nation. Les catastrophes et le « monde d’après » hantent les séries télévisées américaines, surtout depuis les attentats du 11 septembre 2001. The Walking Dead, Battlestar Galactica, The Leftovers, The 100 : ces versions du cataclysme, ces mises en scène de la survie rejouent, chacune à leur façon, l’Histoire américaine, sa violence, ses ruptures, ses conquêtes et ses frontières, et lui offrent une catharsis. En banalisant les images de la catastrophe, les séries post-apocalyptiques habituent les gens au spectacle du « pire », sans pour autant les confronter aux menaces réelles que connaît la Terre aujourd’hui, du réchauffement climatique aux désastres industriels. Car comme le démontre Apocalypse Show, quand l’Amérique s’effondre, les États-Unis préfèrent imaginer la fin du monde plutôt qu’envisager la fin du capitalisme.
Editeur: Playlist Society
Auteur: Anne-Lise Melquiond
Nombre de pages / Prix: 160 pages / 14 euros
[…] Claude, Compte-rendu publié sur le site Publikart le 6 septembre […]