Carole Matthieu, un thriller social qui remue les tripes
Les visages écrasés est un roman social de Marin Ledun qui dépeint sombrement le mal-être des employés d’un centre d’appel. Louis-Julien Petit s’est emparé du thème pour le décliner en film : Carole Matthieu est né. Très engagé, le réalisateur fait de chacun de ses films une cause à défendre. Ainsi, après Discount, il se fait une nouvelle fois le chevalier des « petits travailleurs » et dénonce les conditions de travail inhumaines et oppressantes de certaines entreprises. Un film noir mais juste et saisissant qui remue les tripes. Carole Matthieu sort en salle le 7 décembre. Il est également disponible sur ARTE+7 en replay pour 3 jours encore.
La performance ou le placard
Carole est médecin du travail dans une société qui a le culte de la rentabilité. Les salariés du centre d’appels sont écrasés par des méthodes de management impitoyables et rabaissantes. Mais inutile d’acheter leur silence, la peur de perdre son travail fait taire toutes plaintes. Il n’y a qu’à Carole qu’ils se confient. Pour les aider, elle essaie d’alerter la direction sur le malaise régnant mais celle-ci reste sourde. Seules les questions d’optimisation de la performance lui font tendre l’oreille.
Alors le filme plonge et nous plonge habilement dans l’extrême. L’impuissance de Carole face au désarroi des salariés la hante. Et puis l’impuissance devient rage et la rage la fait agir. Mais sans discernement, elle est mauvaise conseillère et la pousse trop loin. A force d’endosser toute la douleur des salariés qui s’épanchent dans son cabinet, d’accumuler sans possibilité légale d’actions, un jour, c’est trop. Elle agit. Mais acculée, elle devient bourreau. Elle se rend responsable d’un acte sanglant dont elle veut se servir comme d’un déclic salvateur pour que les autres employés soient enfin mieux traités. Mais cet acte est aussi le début de la chute…
Isabelle Adjani s’est parfaitement appropriée ce rôle trouble de femme écartelée. Superbe, inquiétante, double et mutique, son jeu est presque tout intérieur mais il est ardent et éclatant de sincérité. La musique accompagne très bien le tumulte silencieux de la protagoniste ; souvent, elle raconte ce que Carole ne veut pas nous dévoiler. Se glisser dans la peau d’un personnage aussi complexe, torturé et isolé que Carole n’était pas un défi facile. Mais Isabelle Adjani a été aidée par de bons partenaires de jeu notamment Corinne Masiero qui performe en directrice des ressources humaines antipathique.
La défense des plus faibles
Un film puissant dans son dénuement
Carole Matthieu est un film puissant dans son dénuement. Le spectateur est face à la douleur des employés, il n’a rien d’autre à quoi se raccrocher. Les salles de l’entreprise sont uniformément blanches, vides et aseptisées. Il n’y a que les salariés finalement, pour faire vivre la société. Mais cette vie-là est teintée d’une souffrance silencieuse et criante. Après avoir parcouru les couloirs nus, la caméra revient toujours au plus près des hommes, elle les attrape, en gros plan. Alors, il n’y a plus qu’eux. Ils sont seuls à l’image en écho à la solitude qui les enserre alors même qu’ils sont entourés par leurs semblables. Mais la souffrance au travail ne se partage pas.
Bien sûr, il y a un parti-pris évident de la part de Louis-Julien Petit. Défense est prise des plus faibles, des exploités. Au détriment des managers qui sont presque diabolisés. Presque car Louis-Julien Petit a le talent de ne pas résumer ce film à une opposition sans nuances entre managers et managés. L’équipe de direction parait monstrueuse. La plupart du temps. Mais des séquences éparses et brèves viennent contredire ce cliché un peu facile : eux aussi en pâtissent. Bien que rapidement balayées, ces scènes rajoutent du réalisme a un film qui en est déjà plein mais dont le défaut aurait pu être de faire passer les supérieurs pour des sanguinaires assoiffés de chiffres et de performance tandis que les employés seraient des personnes humbles simplement à la recherche d’un peu de considération et de chaleur. Un peu simple non ?
On est tous un peu bourreau, on est tous un peu victime. Cette fiction dénonciatrice éclaire l’impitoyable monde de la rentabilité grâce au jeu d’Isabelle Adjani et à un scénario très bien monté.
Sortie : le 07 décembre 2016
Durée : 1h25
Réalisateur : Louis-Julien Petit
Avec : Isabelle Adjani, Corinne Masiero, Lyes Salem
Genre : Drame, Thriller