Vers un monde sans espoir.
Au milieu de ce qui restera sans doute dans l’histoire comme l’année de la perte de tous les repères moraux et culturels, le cinéma a continué à parfaitement illustrer et traduire nos craintes au quotidien, et de manière qualitative comme le démontrera nos 10 films plébiscités en 2025. En effet, cela se traduit par la percée sans précédent qu’effectue ici le film de genre. Et encore, on pourrait y ajouter nos fructifiants Substitution, le nouveau cauchemar éveillé des frères Philippou, qui s’installent définitivement dans notre panorama des fratés à suivre, mais également Les Maudites (El Llanto) qui avait fait forte impression au Festival Cinemed. Dans un genre plus classique, Un parfait inconnu, Train Dreams, La voix de Hind Raja, L’attachement, Bird, Better Man ou encore L’étranger, sont également autant de petites merveilles qui auraient largement mérité leur place dans ce classement.
10 – Zion (Nelson Foix – France).

La Guadeloupe telle qu’on avait jamais osé la filmer, c’est le programme concocté par Nelson Foix avec son surprenant polar urbain, Zion. Tirant son nom du paradis imaginé par la culture Ratafari, Zion traduit cette idée majoritairement fausse que l’on se fait des Antilles Françaises et de leur trilogie de rêve : plage, rhum et piment. Mettant en filigrane le passé colonial et la cherté de la vie domienne, Nelson Foix réussit à nous plonger dans un quotidien gangréné par la drogue et la violence, avec une maestria qui rappelle les réussites du genre comme La cité de Dieu ou La haine. Un film coup de poing qui ne brade jamais l’esthétique au profit d’un message qui se veut nécessaire sur la réalité d’une jeunesse guadeloupéenne sacrifiée.
9 – Sinners (Ryan Coogler – USA).
C’était l’une des promesses les plus hypante de 2025 : le surdoué Ryan Coogler qui convoque une double dose de Michael B. Jordan pour une orgie de gospel et de vampires. Pari largement remporté après une première heure quasi parfaite qui plante ce fameux décor rempli de blues, de Stetson, de sunset et de champs de coton. Tout y est ultra maitrisé visuellement, esthétiquement et aussi musicalement jusqu’à ce fameux sommet de clip qui aura envouté les cinéphiles du monde entier. Mais là où on pensait Coogler en totale maitrise, le fameux assaut vampirique attendu, hélas, on déchante vite et la fête se met alors à ronronner, puis à tourner en rond. Pas suffisamment cependant pour nous faire oublier toutes les promesses de l’aube Sudiste, et en faire un top 2025.
8 – Dangerous animals (Sean Byrne – Australie).
Plus personne n’osait l’espérer, et c’est pourtant sur l’une des côtes les peuplées par le Grand Requin Blanc, la Gold Coast australienne, qu’a eu lieu le miracle : trouver un digne héritier aux Dents de la mer de tonton Steven. Sous genre plutôt populaire du film d’horreur, le film de requin n’a souvent brillé que dans le rayon du navet, plutôt que de retrouver le suspens et la fièvre qui étaient apparus au large d’Amity. L’autre prouesse réussie par Sean Byrne est d’arriver à créer un alter égo inattendu au monstre marin au sein de son récit. Peut-être même plus dangereux pour la pelletée de jeunes occidentaux qui débarquent tous chaque année en Australie avec leur WHV en poche pour surfer au paradis. Jay Courtney nous régale de perversité en prédateur jonglant avec les prédateurs.
7 – The ugly stepsister (Emilie Blichfeldt – Danemark).
Le cinéma a toujours été un lieu idéal pour donner la parole à ceux qui n’en avaient pas. La fameuse question du point de vue. C’est l’idée de génie de l’année 2025 venue du Danemark et d’Emilie Blichfeldt pour son tout premier film (!) : revivre Cendrillon du point de vue de ses hideuses demi-sœurs. Lea Myren y incarne la pauvre simplette Elvira, victime de toute la pression sociale mise sur ses épaules par une mère jusqu’au-boutiste pour garantir son rang. Cela passera par une transformation ahurissante de la pauvre fille, préfigurant notre ère de la chirurgie esthétique, avec les outils de l’époque et d’hallucinantes séquences de body horror porn. Un sacré choc à la maitrise folle !
6 – Black dog (Guan Hu – Chine).
Le western de 2025 en a tous les codes mais se déroule au XXIe siècle dans une ville industrielle abandonnée du nord ouest de la Chine. Dans des paysages d’une rare beauté minérale, Guan Hu nous narre l’histoire d’une amitié hors norme entre 2 personnages taiseux, effilés, renfrognés et caractériels. Teinté d’un humour noir pince sans rire, on y suit cette relation absurde dans une Chine qui se veut être le reflet parfait de notre ère post-industrielle qui sacrifie tout ou presque sur l’autel de la réussite et de l’uniformité. Eddie Peng est un de nos grands acteurs de cette année grâce à cette délicieuse fable poussiéreuse dog friendly.
5 – Queer (Luca Guadagnino – Italie).
Le couple de l’année 2025 est Queer. Toujours plus loin dans l’exigence, que ce soit au niveau de la narration, de l’expérimentation visuelle, voire de sa fructueuse collaboration musicale avec Reznor/Ross, l’italien Luca Guadagnino puise dans les écrits de William S. Burroughs une sève à la sémantique inépuisable et jouissive. Porté par la fièvre de Daniel Craig, qui a parfaitement digéré 007, merci pour lui, et le magnétisme très Lolita de Drew Starkey, Queer est le genre de pépite pour lequel on aime aller poser ses fesses au cinéma. Un récit tentaculaire, foutraque et amoureusement épris de vie. Le tout dans une Amérique latine fantasmée. What else ?
4 – 28 ans plus tard (Danny Boyle – Angleterre).
Le pari était osé : ressusciter une jolie franchise sur les zombies à une époque où ceux-ci tendent à disparaitre de tous les écrans, par lassitude. Un pari + que réussi par la paire originelle Danny Boyle à la réal, Alex Garland au script, qui pour se faciliter la tâche (ou inversement) ont situé leur action 28 ans plus tard. Exit les mort-vivants, ou presque. Leur aura est partout, la menace place, mais le danger s’est déplacé, et est littéralement partout en dehors de la petite communauté dont on suivra le récit. Le Brexit sert de filigrane à ce récit d’aventures fantastiques à la bande son complètement dingue signée Young Fathers. De nouveaux partis pris, des destinées fracassées et de la folie singulière hantent constamment ce 3e épisode de la saga 28 à l’univers visuel impactant. Un improbable Mad Max au pays des zombies.
3 – Sirât (Oliver Laxe – Espagne).
Jusqu’à où nous mènera Oliver Laxe, est la question qui nous taraude désespérément au 3/4 de Sirât, tant le réalisateur espagnol semble vouloir nous conduire aux portes de l’enfer et du malaise. Et pourtant, tout avait plutôt si bien commencé pour nous spectateur, confortablement installé dans notre siège pour bouger au rythme du BPM envoutant de la démentielle rave party marocaine de Kangding Ray. Très vite, la réalité ressurgit derrière les basses, et on se retrouve mêlé à la détresse et l’espoir de Sergi Lopez à la recherche de sa fille fugueuse. S’en suit un road trip complètement fou sous fond d’apocalypse mondial, où le mot nihilisme ne semble pas suffire pour décrire cette expérience radicale vécue. Une folie furieuse.
2 – Une bataille après l’autre (Paul Thomas Anderson – USA).
PTA, comme on ne l’a jamais vu, nous pond le meilleur film de l’année pour le public mainstream. Phrase complètement impossible tant le réalisateur américain a su imposer une patte justement insaisissable et pouvant fortement clivé selon les thématiques abordées. Une bataille après l’autre est d’une générosité hors du commun. Avec des gigantesques partitions pour DiCaprio, Del Toro, Chase Infinity, Teyana Taylor et Sean Penn. Avec un sujet riche et corsé comme on aime sous forme de doigt d’honneur à la politique déshumanisante au possible de l’administration Trump. Le tout servi par des images brillantes, une bande son envoutante et un humour noir en fil rouge pour impacter durablement nos débriefings cinéphiles. Un chef d’œuvre comme Hollywood n’arrive plus à pondre depuis quelques temps.
1 – Evanouis (Zach Cregger – USA).
Nous avions découvert Zach Cregger avec le terrifiant et asphyxiant Barbares. Pour être honnête avec vous, nous ne nous attendions pas à ce qu’il passe la seconde d’une manière aussi absolue. Evanouis est évidemment un film d’horreur de par sa thématique, son traitement visuel et sa recherche poussée du sursaut. Mais, il va surtout devenir un film générationnel tant son réalisateur a pris soin de mitonner un univers impactant, et surtout des images à la persistance rétinienne forte. Et que dire du personnage de Tata Gladys, sorte de croisement démentiel entre le Joker, Pazuzu et tata Suzanne. Une vraie arme de séduction massive pour le Mal. Délirant.