De l’émotion pure dans le film A mon âge je me cache encore pour fumer
A mon âge je me cache encore pour fumer lève le voile sur l’intimité de la femme musulmane. Présenté comme se déroulant à Alger en 1995, le huit clos d’un hammam sert de décor à des intrigues qui se font et se défont tandis que des femmes de tous horizons viennent se livrer à des rituels routiniers de nettoyage et massage. Seul lieu public où les femmes peuvent se rencontrer et échanger loin de l’oeil inquisiteur des hommes, il favorise autant le respect de l’intimité que le dévoilement de soi. Les personnages se révèlent lentement dans leurs forces et leurs faiblesses pour une narration crescendo jusqu’au drame du fanatisme. Un film aussi sincère que tragique qui ne peut pas laisser indifférent.
Une lucarne dérobée sur un monde caché
La réalisatrice Rayhana a d’abord rédigé une pièce de théâtre au temps où les mouvements intégristes déferlaient sur l’Algérie au début des années 90. Devant les risques croissants encourus en premier lieu par les femmes, elle a eu l’idée d’une pièce où la parole se libérerait loin de l’omniprésente surveillance masculine. La tenancière du hammam devise avec des vieilles habituées comme avec de plus jeunes protagonistes pour un tableau sans concessions où les opinions s’affrontent et les inimités grandissent entre libérales et traditionalistes. Sans les voiles et les djellabas, les visages apparaissent au grand jour et il devient difficile de discerner les différences. Le parti pris de la réalisatrice flirte avec l’impudeur tant les corps dénudés émergent dans un défilé où prime le pur naturel. Mais la nudité laisse très vite place aux discussions et aux enjeux communautaristes. Tourné dans un vieux hammam de Salonique en Grèce où l’occupation ottomane a duré plus de 4 siècles laissant derrière elle quantité de hammams traditionnels, le film touche par la proximité instaurée avec les personnages.
Une chronique sociale retorse
L’absence de barrières au sein du bain public provoque le questionnement sur l’origine des différenciations sociales. Les personnages féminins multiplient les clés, invoquant la culture, les rites ancestraux, les aspirations à l’émancipation et les écritures dans un tourbillon de références où l’individualité est trop souvent sacrifiée sur l’autel de la servitude. Les actrices sont resplendissantes dans cette chronique sociale touchant à l’universalité. Hiam Abbass réalise une prestation encore une fois exceptionnelle au milieu d’actrices connues et moins connues. Le visage de Biyouna est connu, ceux de Nassima Benchicou et Sarah Layssac beaucoup moins. La truculence des discussions informelles autour des sources d’eau laisse place à la dramaturgie quand une femme enceinte fait l’objet des menaces de fondamentalistes décidés à l’occire pour le principe. Le hammam se transforme en sanctuaire sacré loin des yeux impudents et des menaces extérieures.
A mon âge je me cache encore pour fumer chronique avec clairvoyance les doutes d’une société qui se cherche et multiplie les idéaux. Le hammam dévoile les questionnements de femmes qui relayent ceux de la multitude, avec des personnages attachants et cramponnés à leurs certitudes.
Au cœur du hammam loin du regard accusateur des hommes, mères, amantes, vierges ou exaltées islamistes, des fesses et des foulards de Dieu se confrontent, s’interpellent entre fous rires, pleurs et colères, bible et coran… avant le sifflement d’un poignard et le silence de Dieu.
Sortie : le 26 avril 2017
Durée : 1h30
Réalisateur : Rayhana
Avec : Hiam Abbass, Fadila Belkebla, Nadia Kaci
Genre : Drame