Le délire glauque de Madame Marguerite adapté sur les planches du Lucernaire
Créée par l’auteur brésilien Roberto Athayde dans les années 70, la pièce Madame Marguerite est adaptée au Lucernaire avec une comédienne aussi jusque boutiste que l’était avant elle Annie Girardot en 1974 en faisant connaitre ce texte. Stéphanie Bataille interprète seule en scène une maitresse de CM2 déversant sa bile psychotique et autoritaire dans un soliloque qui invoquait initialement les dictatures autoritaires d’Amérique du Sud. De l’eau a coulé sous les ponts depuis cette époque et c’est maintenant le mal être de l’invididu contemporain au coeur d’une société malade qui est ciblé. Le temps passe mais les maux restent, même cachés sous différents aspects.
Un malaise persistant
Dès son arrivée sur scène, la comédienne apostrophe l’audience avec un mépris hautain qui interroge sur les intentions de l’auteur. Plus souvent vulgaire que philosophe, la maitresse d’école abuse de sa position dominante pour invectiver ses élèves à outrance, donc le public, et s’épancher ad nauseam sur ses principes personnels d’éducation. Tout y passe, de l’exigence de servilité jusqu’à ses frustrations intimes lubriquement dévoilées, la comédienne manie fausse douceur et vraie intimidation pour contraindre sa classe à la servilité et à l’obéissance. L’écriture du texte dans des années 70 où les pays d’Amérique du Sud étaient sous le joug de dictatures violentes rappelle les intentions initiales de l’auteur comme un avertissement à ne pas se laisser voler sa liberté. En 2017, le texte a quelque peu vieilli s’il est considéré dans son acceptation première. Néanmoins, un malaise apparait bien vite parmi une audience médusée par les procédés utilisés. Dans une époque héritée de mai 68 où les principes d’autorité ont été battus en brèche avec succès, Madame Marguerite rappelle que la soumission s’obtient non seulement par la force mais également par toute une nuée de techniques perverses. L’auteur évoque la nécessité de se dresser devant toutes les Madame Marguerite du monde pour sauvegarder son libre arbitre et sa liberté individuelle. La comédienne Stéphanie Bataille suscite l’exact degré de répulsion dans le public pour souligner la force d’un texte qui détonne dans le paysage actuel légèrement aseptisé. En maniant la fausse flatterie aussi bien que l’insulte crasse, elle devient un reflet exact de tous ces individus aux intentions voilées qui ne nous veulent pas que du bien…
De la dictature à la psychose
S’il est dorénavant difficile de se projeter dans le système liberticide des dictatures, il est permis de s’interroger sur les nouvelles formes prises par les méthodes de soumission. Et cette maitresse uniquement munie d’une craie et d’un tableau devant un bureau posé sur la scène fait une despote tout à fait crédible, métaphore des bien (mal?) pensants de tous bords qui s’arrogent le droit de dicter la marche à suivre. Dans des propos souvent à la limite du politiquement correct, Madame Marguerite tire tout azimut sur ceux qui ne veulent pas respecter les règles, même fallacieuses. Le premier degré vachard de l’institutrice psychotique revêt de nombreux niveaux secondaires qui donnent à réfléchir, mais l’absence de références à destination du capitalisme ravageur qui sépare de plus en plus les individus et érige des barrières entre les peuples monte le côté un peu daté d’un texte plus totalement pertinent.
Madame Marguerite fait tressaillir sur les sièges du Lucernaire avec son ton sec, ses répliques sans concessions et un humour qui fait rire jaune. Un moment de théâtre iconoclaste à découvrir jusqu’au 27 janvier 2018.
Dates : du 8 novembre 2017 au 27 janvier 2018, du mardi au samedi à 19h
Lieu : Le Lucernaire (Paris)
Metteur en scène : Anne Bouvier
Avec : Stéphanie Bataille