Eye in the sky ou l’impossible dilemme de la guerre moderne
C’est un sujet brûlant et difficile à manier que Gavin Hood (X—Men Origins : Wolverine, La Stratégie Ender) porte sur nos petits écrans dans son nouveau film, Eye in the sky. Aujourd’hui, nos guerres se mènent à distance. Déshumanisées, elles posent de multiples questions morales et stratégiques que le réalisateur met habilement en images.
En sélection officielle au Festival du film américain de Deauville, il n’y a que là-bas que les plus chanceux pourront voir le film sur grand écran. Pour les autres, sa sortie e-cinéma (sur toutes vos plates-formes VOD) est prévue pour le 9 septembre.
Un scénario élaboré assez réaliste
Une opération militaire top secrète est conduite par l’Angleterre pour capturer des terroristes réfugiés à Nairobi (Somalie). Mais leur filature est source d’une découverte qui change tout : ils préparent un attentat suicide. Le risque est imminent, il faut les empêcher de tuer… En les frappant les premiers. Dans le ciel de Nairobi, trop loin pour les yeux de ses habitants, un drone de combat attend les ordres du colonel Katherine Powell, aux commandes de la mission. L’autorisation de frappe est donnée lorsqu’une petite fille entre dans la zone de tir… Que faire ? La mort d’une enfant est-elle un dommage collatéral acceptable ?
Pendant 1h42, tous les partis impliqués dans cette opération (et il y en a une valise) vont tergiverser ou camper sur des positions contradictoires. Reculant une prise de décision de plus en plus pressante. Le colonel K. Powell veut neutraliser les kamikazes au plus vite. Son supérieur, le lieutenant général Frank Benson, la soutient mais doit convaincre des politiciens indécis. Dans une cabine sombre du Nevada, Steve Watts pilote le drone qui doit lancer le missile décisif. Mais sur son écran de contrôle, la présence de cette petite fille qui risque de mourir retient son geste…
Impossible dilemme
L’attente s’étire au cœur de l’urgence. Grâce à une dynamique de film bien maitrisée, le suspens nous prend et nous garde jusqu’au bout. « Il faudrait se presser ! » a-t-on envie de leur crier ! Une décision vite. Mais elle ne vient pas…La force d’Eye in the Sky, c’est son dilemme. Stopper un attentat suicide ou tuer une innocente ? Il n’y a pas de bonne réponse.
Au cœur de ce processus de décision à retardement, Gavin Hood a glissé plusieurs critiques. Par combien d’hommes aux opinions divergentes faut-il passer pour mener à bien cette mission ? Trop. Avocat de la Couronne, ministre des Affaires étrangères, secrétaire d’Etat américain, même le Premier ministre est évoqué… C’est un défilé de politiciens. La décision finale leur appartient. Mais s’ils travaillent pour le bien de leur pays, ils ont une conscience aigüe du jugement que leur peuple aura de leurs actions. La guerre des armes ne doit pas faire oublier la guerre de propagande.
Quel camp rejoindre ? Tout l’art de Gavin Hood est de nous perdre et de retourner sa veste. Un instant dans la peau d’un militaire et celui d’après dans celle d’un politicien, il adopte les intérêts et les points de vue de chacun. Un militaire doit sauver le plus de vies possible oui mais un politicien lui, doit sauver son pays d’une mauvaise presse et d’une propagande néfaste. Alors qui a raison ? Impossible dilemme.
Casting étoilé
Pour donner vie à cette situation complexe, Gavin Hood a réuni un casting excellent. En colonel inflexible, Helen Mirren délivre une belle performance qui confirme son talent déjà récompensé par un Oscar en 2007 (The Queen). Et que dire de feu Alan Rickman qui s’approprie et transcende son rôle de général en chef. Eye in the sky marque son ultime apparition au cinéma. Mort en janvier 2016, ce grand comédien manquera au 7ème art pour son charisme, son hypnotisme même et sa singularité. On ne peut pas tous les citer. Un dernier : Aaron Paul (Breaking Bad), émouvant en pilote de drone écartelé.
Parti pris ?
Etonnamment, cette guerre est parsemée de situations comiques. L’humour ici se fait surtout sur le dos des politiciens. Un ministre transpirant, un autre qui à la diarrhée et un secrétaire d’Etat qui décide d’une attaque aérienne entre deux balles de ping-pong. Le sérieux des politiques est sérieusement mis en doute ! Ce sont des hommes comme nous, nous souffle le réalisateur, des hommes qui n’aiment pas décider et qui sont atteints de maux communs. Cette petite note comique est la bienvenue pour faire baisser la tension.
Mais Gavin Hood a-t-il une dent contre les politiciens ? Car malgré une tentative d’impartialité, il prend parti. Les militaires sont mieux traités, mieux considérés dans ce film. Il influence subtilement notre jugement. Ou peut-être adopte-il l’opinion dominante.
Il n’y a qu’une solution pour se faire un avis : aller voir le film.
Sortie : le 9 septembre 2016 en e-cinema
Durée : 1h42
Réalisateur : Gavin Hood
Avec : Helen Mirren, Alan Rickman, Aaron Paul
Genre : Thriller