Une foisonnante mise en abime du théâtre avec Dom Sganarelle au Théâtre Le Ranelagh
Deux comédiens se retrouvent pour répéter la pièce Dom Juan de Molière en prévision d’une possible mise en scène dans un théâtre. Ils connaissent le texte sur le bout des doigts, ils ont déjà interprété les deux personnages de Dom Juan et Sganarelle 30 ans auparavant, quand ils étaient alors plus jeunes. La répétition dévie très vite vers des considérations très personnelles sur l’âge et le temps qui passe, constamment mises en balance avec les dialogues épiques des deux personnages. Jean-Philippe Ancelle et Michel Pilorgé proposent une variation toute en finesse sur le texte éternel du dramaturge du XVIIe siècle. Les comédiens devant jouer Dom Juan et Sganarelle doivent ils nécessairement être jeunes et fringants pour être crédibles sur scène? La pièce Dom Sganarelle au Théâtre Le Ranelagh offre une réponse truculente dans un déroulé vif et captivant.
Une pièce dans la pièce
Le choix du titre lui-même en dit long sur les intentions d’une pièce qui s’amuse à casser les codes et joue avec les clichés. Dans l’esprit collectif, Dom Juan est le seigneur à la superbe légendaire, coureur de jupons, athée convaincu et bretteur invétéré, Sganarelle est pour lui au mieux un faire-valoir, au pire un sous-fifre. Les deux comédiens réels Jean-Philippe Ancelle et Michel Pilorgé interprètent deux comédiens se nommant Philippe Leroy et Michel Claude, ce qui donne déjà un très fort indice sur qui joue qui dans la pièce jouée dans la pièce. Une question se fait rapidement jour, un comédien doit-il nécessairement être attaché à un personnage sans pouvoir interpréter son pendant? Le texte de Molière est décliné sous l’angle quasi exclusif des rapports entre Dom Juan et Sganarelle, toutes les scènes avec d’autres personnages sont éludées pour conserver la substantifique moelle des rapports complexes entre eux deux. Et Philippe Leroy et Michel Claude multiplient les apartés pour évoquer leurs existences de comédiens de seconde zone, jamais devenus assez connus pour que leurs noms puissent apparaitre tout en haut de l’affiche. Un peu frustrés par leurs destins légèrement contrariés, ils se dévouent néanmoins à leur art et donnent le meilleur d’eux mêmes pour réciter le plus parfaitement possible la prose de Molière. Le passage du langage familier évoquant les avanies du quotidien au langage châtié du XVIIe siècle se fait de manière impeccable pour le constat clinquant d’une maitrise théâtrale totale par les deux comédiens. Et quand ils échangent leurs rôles l’espace d’une scène, la pièce ne perd rien de sa force.
Deux comédiens jouent avec Molière
Dom Juan est un monument du théâtre français, une comédie en 5 actes qui défie le temps qui passe et conserve toute son irrévérence. La tirade évoquant l’hypocrisie « l’hypocrisie est un vice à la mode, et tous les vices à la mode passent pour vertus » semble ne pas avoir d’âge et pourrait très bien s’appliquer à notre époque actuelle, soulignant sa force constante. Les comédiens s’appliquent à varier les tons pour démultiplier l’intensité du texte. Pas d’Elvire, de Gusman ou de Francisque sur scène, la pièce se concentre sur deux comédiens récitant leur texte pour en améliorer l’impact. Et l’intensité des personnages se mêle aux rires des spectateurs, car les dires de Dom Juan sont tellement gros que leur effet sur le public est immanquablement ironique. Les réactions outrées de Sganarelle y font également beaucoup, surtout quand quelques instants auparavant les deux comédiens évoquent leurs péripéties personnelles avant de revenir au texte stricto sensu. La pièce Dom Sganarelle devient une mise en abime du théâtre, rappelant à l’envi que les rôles sont joués par des comédiens aux sentiments exacerbés qui mettent beaucoup d’eux mêmes dans leurs interprétations.
Dom Sganarelle au Théâtre Le Ranelagh est un bonheur de théâtre avec une variation pertinente sur le texte de Molière. Pour qui a vu maintes et maintes fois Dom Juan au théâtre, la pièce offre une variation rafraichissante avec un regard habile sur le texte. Une pièce à découvrir jusqu’au 8 avril!
Dates : jusqu’au 8 avril à 19h au mercredi au samedi, le dimanche à 15h
Lieu : Théâtre le Ranelagh (Paris)
Metteur en scène : Jean-Philippe Ancelle, Michel Pilorgé
Avec : Jean-Philippe Ancelle, Michel Pilorgé