Josiane Balasko à bâtons rompus sur la scène du Théâtre Hebertot dans La femme rompue
Un simple sofa orange habille la scène du Théâtre Hébertot. Dessus se trouve allongée une femme d’âge mûr qui ne parvient pas à dormir. Pendant qu’elle cherche un sommeil qui ne vient pas, elle discourt sur la scélératesse du monde. Elle vit seule sa soirée du 31 décembre et vitupère contre ses voisins bruyants, mais pas que, tout le monde en prend pour son grade dans un lâcher prise tout en gradation. Le monologue se concentre de plus en plus sur la vie personnelle de l’héroïne pour des révélations finales qui donnent les clés nécessaires à la compréhension de son état d’accablement et surtout sa rage. Josiane Balasko fait preuve d’une éblouissante conviction et canalise l’attention générale une heure durant dans un beau numéro de comédienne habitée.
Le vie en dehors de la vie
Que le texte de la pièce soit extrait d’un texte de Simone Beauvoir n’est pas une surprise tant la pièce figure la résistance féminine contre l’aliénation sociale. L’héroïne n’a pas de vie de famille, plus d’homme à la maison, elle vit seule et elle se rend compte que ce n’est pas le modèle général. Elle le comprend d’autant mieux qu’au dessus d’elle s’agite une foule festive enthousiasmée par le passage à la nouvelle année. Elle commence la pièce par insulter ses voisins, la populace, ses semblables, tous ceux qui sont confortablement installés dans le moule social et la confrontent à chaque instant à sa quasi-désocialisation. Allongée en pyjama sur son lit, elle n’a que sa rancoeur outrée à opposer, seule dans sa chambre, sans personne pour l’écouter. Josiane Balasko figure parfaitement l’aigreur d’une femme qui ne suit pas les règles collectives et qui en veut… à tout le monde, et finalement à elle même. Car les spectateurs apprennent au fur et à mesure de son discours qu’elle même n’est pas un ange et qu’elle regrette amèrement certains choix de vie. La douleur des souvenirs aiguise un verbe qu’elle porte haut pour souligner qu’elle existe encore et que sa vie n’est pas finie, contrairement à ce que beaucoup pensent. La mise en scène volontairement elliptique d’Hélène Fillières donne toute la place à une comédienne en état de grâce. En agressant verbalement les autres, c’est elle-même qu’elle blesse en soulignant ainsi sa complète impuissance, matinée d’une sensibilité exacerbée et de résistance rugueuse. Ce n’est pas de la compassion qu’elle exige, mais un retour dans la norme, pour exister à nouveau et trouver sa place au milieu de ses semblables. Cet appel au secours marque si bien l’audience qu’un processus d’identification se fait jour, chacun réfléchissant aux éléments de comparaison avec une héroïne blessée par la vie et comme laissée à l’abandon. Le poids du laisser aller et de l’inévitable vieillesse pèse sur le public, appelant chacun à garder les yeux ouverts pour ne pas sombrer dans la même aigreur.
La Femme Rompue ne se joue que pour un temps très court au Théâtre Hébertot, il ne faut pas tarder pour réserver sa place et assister à un spectacle qui interpelle et bouscule, en grande partie grâce à une très convaincante Josiane Balasko!
Dates : 30 représentations à partir du 15 février
Lieu : Théâtre Hébertot (Paris)
Metteur en scène : Hélène Fillières
Avec : Josiane Balasko