
Le Lucernaire et Philippe Person connaissent une belle et longue histoire. Il a dirigé le Lucernaire de 2009 à 2015 et a créé, au sein de ce même lieu l’école de théâtre professionnelle. Ses mises en scène sont nombreuses et cette dernière en date avec La Ménagerie de verre de Tennessee Williams est une livraison marquante autant que réjouissante. Regarder cette famille dysfonctionnelle se débattre avec ses démons est un vrai moment de théâtre puissant et intimiste porté par des comédiennes et comédiens totalement investis
Du théâtre beau comme un tsunami
La Ménagerie de verre est une des premières pièces de théâtre de Tennessee Williams, écrite en 1944, et qui rencontra un immense succès public et critique. Traduite par Isabelle Famchon et mise en scène par Philippe Person, elle prend une ampleur insoupçonnée sur la scène du haut perché Paradis au Lucernaire. Elle se déroule dans le souvenir du narrateur et fils de la famille Wingfield, Tom (très convaincant Blaise Jouhannaud), et revient sur la scène de sa jeunesse dans un huis clos familial oppressant. Son monde mental prend forme dans un sud des États-Unis broyeur de rêves. Couvé par sa mère Amanda (hypnotisante Florence Le Corre), il doit subir une charge mentale faite d’avanies domestiques et de travail abrutissant dont il s’échappe grâce à la magie de ses sorties cinéma salvatrices même si illusoires. Sa soeur Laura (Alice Serfati toute en intensité contenue) fait figure de victime expiatoire des affres de sa famille avec son handicap et son incapacité sociale. La photo du père avec sa moustache et son sourire amène jette un regard cru sur sa famille, lui qui s’est enfui, et on comprend pourquoi. Comme souvent chez l’auteur, le personnage féminin principal est clairement bipolaire, elle prend toute la place et ressemble à un grand oiseau désarticulé au centre de sa ménagerie. La famille est unie mais non point fusionnelle, Seule Amanda est en fusion avec elle même et éclabousse ses enfants de sa lave incandescente pour une constante vulnérabilité augmentée. La visite d’un ami de Tom a tôt fait de faire imploser cet équilibre instable. Les rêves d’union de la mère pour sa fille s’abiment sur les rochers de la réalité et Tom choisit de suivre les chemins paternels pour échapper à une existence avilissante, les aventures au cinéma ne lui suffisent plus, l’envie de les vivre en vrai sont trop fortes.
La chronique familiale se conclut dans le drame, aucune énigme n’est résolue. La petite troupe se connait bien, elle qui partage la scène si souvent, et cela se voit. La magie opère et la salve d’applaudissements conclut avec brio ce beau moment de théâtre.
Synopsis:
ATTENTION : LICORNE ERRANTE
Nous sommes chez les Wingfield, à Saint-Louis, dans l’Amérique des années 30. Amanda élève seule ses deux grands enfants, Tom et Laura. Elle est dépassée par l’éducation de ses enfants, connaît des difficultés financières et une sorte de crise existentielle. Tom, narrateur et personnage de la pièce, travaille dans un magasin de chaussures pour entretenir la famille mais il rêve de cinéma et d’évasion, de littérature surtout, et se vit comme poète. Quant à la si fragile et boiteuse Laura, elle fait semblant d’aller à un cours de dactylo mais erre toute la journée dans la ville. À la maison, elle se réfugie dans sa chambre où elle collectionne des animaux en verre taillé. La pièce maîtresse de cette collection est une licorne, animal imaginaire et différent auquel elle s’identifie. Jim est un collègue de Tom et se trouve être un garçon pour lequel Laura vouait une passion quand elle était plus jeune. Amanda invite ce Jim à dîner dans l’espoir de le rendre amoureux de sa fille. Mais rien ne se passe comme prévu…
C’est avec La Ménagerie de verre que Tennessee Williams connaît, à trentre-quatre ans, une célébrité soudaine.
Détails:
Du 26 mars au 1 juin 2025, Salle Paradis
Mardi > samedi 21h | Dimanche 17h30