« Le ciel de Nantes » ou l’art et la manière de Christophe Honoré, sur France 4
Il y a 20 ans déjà, Christophe Honoré s’était lancé dans l’écriture d’un long-métrage sur sa famille, qui n’avait pas abouti. Trop vampirique sans doute cette branche maternelle issue de la classe populaire.
Aujourd’hui, dans une salle de cinéma d’une autre époque, là où la scène devient le lieu magnifique d’un film impossible, porté par un art scénique et une désinvolture qui n’appartiennent qu’à lui, Christophe Honoré convoque les siens pour raconter et chanter leur histoire.
Il mêle théâtre et cinéma qui focalisent l’emprise du temps et sa distanciation, entre réel et fiction, offrant une voix décomplexée et intense à sept membres emblématiques de cette lignée (sur trois générations) que les drames personnels mais aussi l’Histoire n’ont pas épargnée.
Il pleut sur Nantes. Dès le lever de rideau, les notes de la chanson de Barbara plantent le décor : l’histoire se passe dans la ville qui a donné son titre à la pièce. Cette saga familiale commence par un épisode lointain, le 16 septembre 1943, jour où une pluie de bombes s’abat sur Nantes. Les bâtiments explosent, les corps sont déchiquetés, les vies se brisent.
Cinéma Paradiso
Tous les protagonistes sont là (les vivants comme les morts) pour refaire le match, régler leurs compte, ou simplement saupoudrer l’ambiance (ou la plomber) de quelques regrets, quelques secrets.
Il y a là Mémé Kiki (incroyable Marlène Saldana), la grand-mère maternelle de l’auteur, la patronne, la boussole. Marie-Do, la mère du cinéaste jouée par son frère Christophe Honoré, sa tante adorée Claudie dont il a confié le rôle à son actrice fétiche Chiara Mastroianni, ses oncles Roger (Stéphane Roger) et Jacques (Jean-Charles Clichet), le père Puig, grand-père espagnol, séducteur et redoutable (Harrison Arévalo), banni de la famille.
Ces oncles, tantes et grands-parents un peu, beaucoup, barrés qu’Honoré a follement aimés et presque tous disparus. Et comment raconter cette histoire sans trahir les intéressés ? Comment faire de cette complexité humaine une matière théâtrale ? Où s’esquisse une famille violente et aimante, traumatisante et attirante à la fois.
Beaucoup d’éclat et d’impétuosité
Tout au long de la pièce, le futur cinéaste s’interroge et laisse les personnages commenter ou contester la façon dont le scénario les représente. Les comédiens, à la fois membres de la famille et interprètes de ce film imaginaire, livrent tour à tour leur vérité sur cette histoire commune que chaque membre assume et revendique avec beaucoup d’éclat et d’impétuosité.
Une authenticité qui laisse aussi toute sa place à la dérision et au décalage des situations remémorées qui, par delà le rire qu’elles provoquent, n’en sont pas moins empreintes de gravité. Ils en jouent les scènes, en discutent les plans, les dialogues et autres accompagnements musicaux (Spacer de Sheila, Joe Dassin, Julio Iglesias, Keith Jarret, Haydn) sans oublier quelques pas de danse libérateurs.
Un clan où les fêlures, les non-dits, les destins contrariés, et les drames intimes secouent les personnages et ravivent les blessures enfouies.
Sous le ciel de Nantes, il y a de la violence mais aussi de la tendresse, des rires et des actes manqués, un désir fou d’aimer envers et contre tout.
La troupe est incandescente, Marlène Saldana dans le rôle d’Odette s’impose naturellement en cheftaine sûre de son fait et à la ténacité inébranlable. Chiara Mastroianni, à fleur de peau, qui joue Claudie, la tante dépressive au destin brisé, est bouleversante d’intensité aux prises avec une vie inaccomplie. Marie-Do, veuve à 40 ans, (la mère du cinéaste) est interprétée par son frère Julien Honoré dans une composition fantasque, tandis qu’Harrison Arévalo (Puig, le mari banni), Jean-Charles Clichet et Stéphane Roger (les deux fils irréconciliables) offrent une partition de choc. Quand à Christophe Honoré, il est incarné par Youssouf Abi-Ayad au jeu solaire et magnétique. Bravo !
Date : Le 29 septembre 2024 sur France 4 à 21.00h
Création et Mise en scène : Christophe Honoré
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